Estelle Brachlianoff : la patronne de Veolia impose son minimum social
SEP 22, 2023
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Le géant français de l'eau et de la gestion des déchets lance un socle commun de protection sociale pour ses 213 000 employés dans le monde. Une mesure à l'image de la nouvelle patronne du groupe, Estelle Brachlianoff est la directrice générale de Véolia. Portrait de la semaine d'Aujourd'hui l'éco.

Avec Catherine MacGregor chez Engie et Christel Heydemann chez Orange, Estelle Brachlianoff fait partie des trois seules femmes à diriger une entreprise du CAC 40. Avant d’être nommée directrice générale de Veolia en juillet 2022, à la veille de ses 50 ans, elle a gravi tous les échelons, coché toutes les cases.

Élevée par une mère ingénieure, petite fille d’un immigré bulgare dont elle a gardé le nom de famille, elle rêvait enfant d’être astronaute. À défaut de marcher sur la lune, elle intègre l’élite française des écoles d’ingénieurs : diplômée de Polytechnique et de l’École des ponts, elle rejoint Veolia en 2005. Après des débuts dans la branche Déchets en Île-de-France, puis au Royaume-Uni, elle dirige l’ensemble des activités britannique et irlandaise de Veolia entre 2012 et 2018, pile au moment où le Royaume-Uni choisit le Brexit. Le PDG de Veolia Antoine Frérot la nomme ensuite directrice générale des Opérations et en fait sa dauphine. Pendant quatre ans il va la préparer à prendre sa succession. « Parce que c’est la meilleure », expliquait-il simplement au journal les Echos.

 Antoine Frérot a passé la main après douze années à la tête du groupe mais il ne s’est pas complètement effacé puisqu’il conserve le titre de président au moins jusqu’en 2026.

À la journaliste de Radio Classique qui lui demande si ce fonctionnement bicéphale l’inquiète, la nouvelle directrice générale répond dans un sourire en paraphrasant Montaigne : « Ça va bien se passer, parce que c’est lui et parce que c’est moi. Parce qu’on se connaît depuis longtemps et qu’on s’apprécie. » De fait, Antoine Frérot ne manque pas une occasion de rappeler qu’ils forment un duo depuis longtemps déjà et que le redressement de Veolia est aussi à mettre au crédit de son ancienne numéro 2. Après l’OPA sur Suez en 2020, quand Veolia a soudainement avalé 60 % des activités de son ancien rival et absorbé 40 000 nouveaux salariés, c’est elle qu’il a chargé de piloter le rapprochement. Un défi relevé sans casse. Pour des raisons de respect de la concurrence, « la majorité de l’intégration de Suez s’est faite hors de France », rappelle à RFI Vincent Huvelin, élu CGT chez Veolia. « Mais de façon générale, l’OPA de Veolia sur Suez s’est plutôt passée de façon correcte sur le plan social », note le représentant syndical.

« Même aux Etats-Unis, il n’y a pas de congé maternité payé »

Autre signal positif envoyé par la nouvelle patronne aux partenaires sociaux : la mise en place de Veolia Cares, un socle commun de protection sociale étendu à l’ensemble des 213 000 employés du groupe à travers le monde. « Une des premières décisions que j’ai prises en tant que directrice générale, parce que ça me tient à cœur », insistait Estelle Brachlianoff sur BFM Business. Parmi les mesures les plus fortes : dix semaines de congé maternité, une semaine de congé de coparentalité, qui s’applique à tous les couples, quelle que soit leur orientation sexuelle, et une couverture santé, précise Veolia sans toutefois révéler quel budget lui sera alloué.

Veolia Cares prévoit aussi un accompagnement pour les salariés qui doivent prendre en charge un proche malade. Des droits « qui paraissent évident quand on est en France, on se dit que ça change quand on pense aux pays du Sud mais même aux Etats-Unis, il n’y a pas de congé maternité payé », soulignait Estelle Brachlianoff au moment de l’annoncer en mars dernier. Plus anecdotique, les salariés auront droit à une journée de congé par an à consacrer à une œuvre caritative ou à la protection de l’environnement.

Contacté, Veolia assure que ces nouveaux droits s’appliquent depuis le 1ᵉʳ septembre 2023. D’après nos informations le déploiement serait plus lent par endroit et le détail encore en train d’être présenté aux salariés dans certains pays. Reste que la mesure est saluée par les syndicats : « Ça ne veut pas dire qu’il n’y a pas ici et là des sujets de désaccord, mais sur celui-ci, il n’y a pas de débat », tranche Florencio Martin élu CFDT à Veolia qui y voit « une vraie volonté » de la part de la direction de Veolia que les salariés soient réellement parties prenantes de l’entreprise. « Rien que la couverture santé, c’est extrêmement important », renchérit Hervé Deroubaix, ancien représentant syndical Veolia Eau et désormais secrétaire général de la CFDT syndicat national des personnels de l'eau et de l'assainissement (SNPEA). « Même aujourd’hui en France, certains salariés ne voient jamais de médecin traitant. Le seul médecin qu’ils voient c’est via la médecine du travail. L’accès à une couverture santé, c’est la garantie d’un accès rapide aux soins. Et ce n’est pas un gros mot que de le dire : un salarié en bonne santé c’est aussi une meilleure productivité ».

Une personnalité « à l’écoute » mais parfois rigide

Chez Veolia, moins de 20 % des « ressourceurs » (les salariés dans le langage corporate de l’entreprise) sont cadres. Les 80 % restant inspectent les canalisations, trient les déchets, assurent la maintenance... Ils appartiennent à la masse des premiers de corvée dont il fut tant question aux débuts de la pandémie. C’est d’ailleurs la période des confinements qui a brutalement mis en lumière les disparités entre les salariés du groupe à travers le monde, souligne Vincent Huvelin. Le syndicaliste y voit l’origine probable de Veolia Cares. Avec cette mesure Estelle Brachlianoff s'inscrit dans une longue tradition du capitalisme social à la française. Veolia assume d’appartenir à ces multinationales tellement grandes et puissantes qu'elles en viennent à remplir, même a minima, le rôle des Etats et des gouvernements.

Chez Estelle Brachlianoff, les représentants syndicaux de Veolia avec qui RFI a pu échanger saluent une personnalité « à l’écoute » et « pas langue de bois » « Elle se situe dans la droite ligne d’Antoine Frérot », estime Vincent Huvelin. « On n’est pas dans le bras de fer, il y a de l’échange, de la communication. On n’est pas toujours d’accord mais au moins, il y a de l’écoute. » « On le voit aussi dans l’actionnariat salarié », précise-t-il. Et c’est vrai que l’opération d’actionnariat salarié lancée l’an dernier est un succès. 75 000 salariés y ont souscrit. Tous ensemble ils détiennent un peu plus de 6 % du capital, ce qui de manière très symbolique permet à Estelle Brachlianoff de dire qu’ils sont « le premier actionnaire de Veolia ». En pleine inflation, des tensions existent néanmoins, sur la question des salaires notamment.

Travailleurs sans-papiers

Les partenaires sociaux soulignent également qu’aussi généreuses soient-elles, les mesures sociales du programmes Veolia Cares ont été prises de manière unilatérale et sans consultation. Estelle Brachlianoff est née à Neuilly-sur-Seine, ville cossue de l’Ouest parisien dont elle a gardé une façade bourgeoise et distinguée, parfois rigide. Elle ambitionne de faire de Veolia le numéro 1 de la transition écologique dans le monde. Elle évoque volontiers ses deux adolescents qui la rappellent régulièrement à ses devoirs générationnels. Pour y arriver il va falloir faire mieux sur la question de la réutilisation des eaux usées, sur les déperditions d’eau considérables dans les canalisations vieillissantes du monde entier. Veolia a aussi été mis en cause par des défenseurs de l'environnement en Colombie  pour sa gestion d'une décharge, ce que l’entreprise conteste. Plus récemment en France le groupe a été accusé d'employer via un sous-traitant des travailleurs sans-papiers. Le groupe assure avoir pris des dispositions et cessé toute collaboration avec le prestataire mis en cause, Veolia promet d’examiner chaque cas de manière individuelle mais se refuse à toute mesure collective.

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