Monterey est le titre du nouvel opus sous la plume du Mauricien Barlen Pyamootoo. L’homme s’était fait connaître en 1999 en publiant Bénarès, son tout premier roman. Ce récit résolument moderne tant par sa narration que par son souci de rendre compte du quotidien mauricien, sans exotisme ni misérabilisme, a fait d’emblée de son auteur le chef de file de la nouvelle génération d’écrivains de l’île indo-océanique. Le nouveau roman de Pyamootoo s’inscrit dans cette modernité (rediffusion).
« Être de Maurice et du monde, je crois que c’est ça, être un bon écrivain mauricien », confie Barlen Pyamootoo. Cette quête de l’ubiquité fonde et anime l’œuvre singulière du romancier du Trou d’Eau Douce, lieu-dit situé sur la côte orientale de l’île Maurice. Faire habiter deux mondes simultanément, l’un en résonance avec l’autre, avait fait le succès de son premier roman, Bénarès. Son intrigue est campée dans un petit village mauricien, alors que toute la narration est hantée à un second niveau par les clichés et les mythologies liés à la célèbre ville indienne qui a donné son nom au village éponyme.
Son second roman, Le tour de Babylone, paru en 2002, proposait une variation sur le thème de l’ubiquité, mettant en scène une errance à travers l’Irak alors que l’auteur n’a jamais mis les pieds dans ce pays. Le point de départ était une phrase puisée dans l’enfance lorsque le père du petit Barlen lui criait dessus, lui reprochant de passer son temps à vadrouiller plutôt qu’à faire ses devoirs. « Quel tour de Babylone as-tu encore fait, Barlen ? », lui lançait-il en colère. En créole, « faire le tour de Babylone » a un sens péjoratif. Dans son second roman, l’auteur joue sur cette double entente pour laisser son imagination vagabonder dans les rues de Bagdad bombardé que contemple un Saddam Hussein hiératique du haut de son portrait accroché à un réverbère.
Une ville paradisiaque
Monterey, le nouveau roman de Barlen Pyamootoo, son cinquième, ne déroge guère à la règle. Monterey, c’est le nom d’une ville américaine, où se déroule l’action du récit. Une ville paradisiaque, du bord de mer, qui n’est pas sans rappeler la ville natale de l’auteur, Trou d’Eau Douce. « En fait, j'ai été aux États-Unis en 2011-2012 et j'ai passé trois mois à Pittsburgh, se souvient le romancier. Et un jour, en revenant d'un concert de jazz, on passe par un quartier où toutes les rues ont un nom qui rappelle les guerres entre le Mexique et les États-Unis. Et il y a eu une guerre à Monterey, en Californie. J’ai trouvé ce nom magnifique et je me suis dit un jour, j'écrirais un livre avec pour titre Monterey qui veut dire le mont du roi et j'inventerai un pays, un village, des contrées… »
Monterey fait partie du cycle étasunien de Pyamootoo. Après une biographie romancée consacrée au grand poète américain, Walt Whitman, auteur des Feuilles d’herbe, le romancier revient à des histoires plus terre à terre, et pourtant si profondément emblématiques de nos vies absurdes, auxquelles on peine à donner du sens. Le roman raconte l’histoire de Nick Armando, un jeune homme à peine sorti de l’adolescence, cheminant dans son existence, entre fugues, ennuis et délinquance.
« C’est l’histoire d’un garçon qui adore réparer des voitures, surtout les vieilles voitures parce que ça remonte à son enfance, quand il aidait un mécanicien à réparer des voitures anciennes, explique Barlen Pyamootoo, résumant l'intrigue de son roman. Il est tôlier. Et puis, il a des envies dépensières aussi, parce qu’il aime aller à des restaurants avec sa copine qu’il a rencontrée au cinéma. Il aime aller dans des lieux où on s’amuse, en discothèque par exemple. Pour lui, l’argent qu’il touche en tant que tôlier, ça ne suffit pas. Il a l’occasion de vendre de l’herbe, rien que pour avoir de l’argent et dépenser. Et puis, ça finit mal pour lui… J’avais envie de parler de la condition de ces personnes que j’appelle "des gens de peu" qui n’ont pas grand-chose, pas une grande éducation, mais qui trouvent leur place dans le chaos qui les entoure. »
Plus Gavroche [personnage dans Les Misérables de Victor Hugo, NDLR] que Julien Sorel [protagoniste du Rouge et le Noir de Stendhal, NDLR], naïf et insolent dans sa manière d’être, Nick n’est pourtant animé d’aucune ambition particulière. Issu d’un milieu modeste, élevé par des parents sévères, mais aimants, il se contente de vivre, s’acheminant vers l’horizon que pointent ses talents et ses pulsions.
Bricoleur depuis son enfance, habile de ses mains, Nick a un don inné pour la mécanique. Sa passion, c’est de réparer des voitures. S’ennuyant à l’école, il se fait engager comme stagiaire à 13 ans chez un garagiste, au grand désespoir d’ailleurs de son père, qui espérait que son fils unique prendrait sa succession dans son épicerie. Nick apprend vite et se révèle un réparateur doué pour qui, au bout de quelques mois de formation, la batte à planer, la meuleuse, la ponceuse, le bédane, le poinçon effilé, le ciseau à nez rond et la lime fraisée n’a aucun secret. Débauché par des employeurs des villes moyennes des alentours, il quitte Monterey pour Bidwell. Ses employeurs apprécient sa docilité, son goût de la perfection.
« Et malgré la fatigue, la poussière et les odeurs de peinture et de solvant, je m’éclatais quand je débosselais, soudais, ponçais, planais, mastiquais, marsouflais. » Or, cette succession de verbes dans la bouche du personnage qui se raconte à la première personne, dénote moins l’obstination au travail qu’une succession d’actes répétitifs dont Nick se sent parfois un peu prisonnier. C’est sans doute cette frustration qui le conduira vers son destin, lorsque son chemin croise celui des trafiquants de drogue. L’occasion faisant le larron, il devient à son tour un trafiquant, surveillé de près par les stups. Sa course s’achève en prison…
Réinvention du monde
Il y a quelque chose de Meursault camusien chez Nick, qui est un anti-héros, un rebelle sans cause. Son récit de vie n’est ni tragique, ni comique. Il n’y a par ailleurs ni emphase ni fioriture dans l’écriture de Pyamootoo. On pourrait presque parler d’une « écriture blanche », qui se signale à l’attention par son dépouillement et la simplicité de dire le réel. La charge émotionnelle est réduite ici au minimum. On pense à Ulysse de Joyce, livre de chevet de l’auteur. La simplicité n’empêche pas le romancier toutefois de cartographier, avec un sens de précision réaliste, le paysage toujours renouvelé de la vie, comme le soutient Barlen Pyamootoo.« J’ai toujours pensé que je voulais absolument avoir une écriture simple, mais belle, ou alors simple, mais profonde en même temps. Ce n’est pas évident d’arriver à la simplicité et à la profondeur en même temps. Donc, j’essaie d’épurer, de dire les choses les plus directement possibles ou le plus simplement possible. Mais en même temps je voudrais, ça c’est mon rêve, que ce soit sous-tendu par de la profondeur. Mais, comme le dit Victor Hugo, la forme, c’est le fond qui remonte à la surface. Voilà ce que, à peu près, j’essaye de faire avec cette écriture plus ou moins épurée… »
« Il faut que chaque livre soit une réinvention du monde », aimait à répéter Barlen Pyamootoo dans les ateliers d’écriture qu’il a longtemps assurés à Maurice. Mettant sa leçon à l’œuvre dans ses propres livres, le romancier, à son tour, réinvente le monde. Il le fait avec brio dans son nouvel opus, où à travers l’évocation nostalgique de l’insouciance de son enfance par le protagoniste, renaît le paysage de « Monterey d’Eau Douce » baigné par le lumineux océan, comme dans l'extrait du roman qui suit : « Ce matin-là, mon grand-père m’emmenait à l’école sur sa bicyclette qu’il poussait, et moi, assis sur le porte-bagages, je ne l’écoutais que d’une oreille, et pour deux raisons. D’abord, parce que je n’avais d’yeux que pour le paysage. Je contemplais les arbres qui cachaient le soleil, les sentiers qui descendaient en pente douce et menaient à la mer. Et quand plus aucun arbre ne bordait la route et que la mer avait disparu derrière les brumes dormantes, je tournais la tête de l’autre côté pour composer les monticules de pierres noires dans les champs d’oignons et mesurer à la toise l’étendue de la plaine sablonneuse. Ensuite parce que je croyais dur comme fer que c’était dans la nature de vieilles personnes de radoter, surtout lorsqu’elles s’adressaient à des enfants. »
Ainsi commence Monterey, une invitation à entrer dans le monde poétique de l’incontournable Barlen Pyamootoo.
Monterey, par Barlen Pyamootoo. Éditions de L’Olivier, 208 pages, 19 euros.