« Tiens bon ! » aimait-il répéter aux plus jeunes, comme pour rassurer quant à l'issue heureuse de la lutte que mènent les peuples africains pour améliorer leur destin. Jean-Pierre Ndiaye n'est plus. Mais, plus que jamais, cette « certitude d’espérance » doit être entretenue. Depuis l’annonce de sa disparition, ce 1er novembre 2022, c’est un torrent d’hommages qui salue la mémoire du Sénégalais Jean-Pierre Ndiaye. Qui était donc cet intellectuel, qui semble faire l’unanimité des éloges ? A-t-il réellement marqué des dizaines de millions d’Africains, depuis les années 1960 ? Jean-Pierre Ndiaye était, en effet, un esprit vif. Une belle plume. Belle et surtout puissante, qui transmettait des vibrations propres à vous ébranler, à vous stimuler. Sociologue, devenu célèbre par les textes qu’il signait dans Jeune Afrique, il ne se complaisait guère dans la vanité des titres. Il avait cette liberté de ton propre à ceux qui ne recherchent rien pour eux-mêmes, n’attendent rien de personne, et peuvent donc s’offrir le luxe de déplaire. Là où tant d’intellectuels africains, au nom de leur carrière et de leur réussite sociale, finissent par se perdre dans des concessions affligeantes, ou même dans des compromissions, Jean-Pierre Ndiaye vivait en harmonie avec ses convictions. Il était d’une intégrité qui confinait à l’oubli de soi. De cette liberté, il a payé le prix, jusqu’au bout ! Pour s’offrir un tel luxe, il avait, à ses côtés, une dame d’une sérénité immuable, enseignante, compagne d’une vie consacrée à veiller sur le destin de l’Afrique : Madeleine, « sa » Mady ! En quoi pouvait donc consister, concrètement, cette vie consacrée à veiller sur le destin de l’Afrique ? Il proposait, sur les questions essentielles qui interpelaient l’Afrique, une réflexion incisive. Il n’est pas un défi à relever par les peuples africains, sur lequel Jean-Pierre Ndiaye n’ait réfléchi ou écrit. Il se préoccupait tout particulièrement du destin de l’homme noir, d’où qu’il vienne, où qu’il vive. Lorsqu’en 1973, il interpelle Léopold Sédar Senghor, c’est d’abord sur la nécessité d’un soutien à la minorité noire du Sud-Soudan, « méconnue de l’intelligentsia et de l’opinion africaine », disait-il. Des échanges épistolaires à la fois tranchants et feutrés, dont Senghor ne s’offusquera guère. Mieux, il invite son jeune compatriote à l’accompagner dans nombre de ses voyages, notamment dans des sommets panafricains, pour que Jean-Pierre Ndiaye constate par lui-même les efforts des dirigeants pour résoudre les crises sur lesquelles lui les jugeait défaillants. Né au Sénégal, il a grandi en Guinée, mais, c’est en passager clandestin qu’il arrive à Bordeaux, en 1952, sur un bateau chargé de tirailleurs sénégalais à destination de l’Indochine. Jean-Pierre Ndiaye échoue dans un milieu d’enseignants, républicains « exilés » de la guerre d’Espagne, qui lui inoculent la passion de la politique. Puis il s’inscrit en sociologie, et suit assidument les cours du père dominicain Louis-Joseph Lebret, économiste. Sa vie, dit-on, a été faite de belles rencontres. Quelques exemples ? Alioune Diop, le fondateur des éditions Présence africaine, le nourrit de ses conseils. La vocation de Jean-Pierre Ndiaye est claire : penser l’Afrique. Il fonde donc le Bureau d’études des réalités africaines (Béra), qui publie la toute première enquête sur les étudiants noirs en France. En 1963, il est invité à donner quelques cours dans deux prestigieuses universités américaines : Georgetown, fondée par les jésuites, à Washington D.C., et UCLA (Unià Los Angeles). Il est accueilli par l’immense Dizzy Gillespie, va à Harlem rencontrer Malcom X. En France, il fréquente l’intelligentsia de gauche, dont un certain Jean-Paul Sartre. De ces très belles rencontres, ses lecteurs ont eu leur part. À ceux qui n’ont pas eu cette chance, il reste Afrique, passion et résistance, un ouvrage à l’initiative de sa fille, Shuana, qui rassemble l’essentiel de ses meilleurs textes. En plongeant dans ces quelque 530 pages, l’on se demande parfois si ce n’est pas par choix que tant de peuples croupissent encore dans le sous-développement, préférant se mentir, à coups de slogans ronflants sur l’émergence.
Lorsqu'un ex-putschiste se soucie davantage des égards qu'il estime dus à son rang qu'aux souffrances infligées aux Guinéennes et aux Guinéens. Un mois après l’ouverture du procès sur les massacres du 28 Septembre 2009, les Guinéens ont eu droit, cette semaine, à quelques bouts de vérité, de la part de l’aide de camp du capitaine Dadis Camara, à l’époque. Cette brèche dans la stratégie de dénégation convenue par les accusés n’indique-t-elle pas que ce procès va peut-être enfin s’engager vers un peu plus de sincérité ? Jusque-là, les accusés narguaient les victimes avec leurs non réponses. Et « Toumba » Diakité s’est un peu oublié, en effet. Mais, il semble avoir déjà repris ses esprits. Comme si tous étaient persuadés qu’à force de se taire en chœur, ils finiraient par convaincre la cour de se ranger à leur logique, pour conclure qu’il n’y a eu, finalement, rien de très grave, ce jour-là, dans le stade et tout autour. Et pourtant ! 157 morts, des centaines de blessés, sans compter ces femmes traquées, violentées et violées en nombre. La justice est une nécessité. Il reste à espérer qu’elle se donnera le temps de ne pas bâcler ce procès. Ce serait un tel désastre, pour la Guinée, si tout cela devait ne consister qu’à calmer les victimes, pour réhabiliter quelque accusé à ne pas mécontenter, sous prétexte qu’il pèserait d’un poids ethnique, politique ou autre. Dadis Camara a prévenu qu’il était là pour laver son honneur. Il doit donc, lui aussi, désirer la vérité… Mais, au-delà du verdict de cette cour, il y a, ce que l’on appelle la responsabilité. En politique, cela s’assume. C’est le chemin de l’honneur. Les faits, ici, c’est d’abord le contexte et l’objet de ce rassemblement. À la mort du président Lansana Conté, en décembre 2008, Dadis Camara s’est emparé du pouvoir. Un coup d’État contre un mort. Tout heureux d’avoir ainsi vaincu sans péril, il s’exhibe quotidiennement dans le clinquant de sa condition inespérée de nouveau roi. L’opinion africaine s’amusait alors de ce qu’elle décrivait comme « le Dadis Show ». Pas vraiment fiers du sort si cruel qui s’acharnait ainsi sur leur pays, les Guinéens étaient dans leurs petits souliers. Mais, lorsque Dadis a laissé entendre qu’il pourrait bien se porter candidat à la présidence de la République, opposition, société civile, citoyens ordinaires se sont levés pour contrarier son projet. Ils se donnent rendez-vous le 28 septembre, date anniversaire du fameux « non » de Sékou Touré au général de Gaulle. Pour éviter toute surprise, ils avaient choisi un lieu clos, au lieu des artères de Conakry. Mais, ils ne risquaient pas moins de compromettre les visées du capitaine. On a donc envoyé des soldats sans scrupules les traquer dans le stade. Et cette responsabilité, personne n’a le courage de l’endosser. Mépriser de la sorte les morts, les femmes et les blessés, tout en exigeant d’être traité comme un ancien chef d’État n'inspire pas le respect. Après tout, n’est-il pas tout de même un ancien chef d’État ? Vous voyez à quel point il a fallu que la notion même de chef d’État soit dévoyée, dans cette Afrique, pour que chaque personne qui s’empare du pouvoir, revendique, avec autant d’aplomb, un traitement d’ancien chef d’État, surtout là où les Guinéens attendent juste un peu d’égard pour toute la violence subie, pour leurs morts, leurs mères, sœurs ou épouses violées ? En plus, ces héros manquaient terriblement de courage. Car, lorsqu’il a été suggéré que ce massacre pouvait être assimilé à un crime contre l’humanité, Dadis a cherché à l’imputer à son aide de camp. Comme l'empereur romain qui, sentant la foule romaine fondre sur son palais, demande à Tigellin, son bourreau à tout faire, d’aller avouer au peuple que c’est lui qui a mis le feu à Rome. Dadis se faisant insistant, « Toumba » Diakité a tenté de lui brûler la cervelle. Il a manifestement eu plus de chance que ses compatriotes tombés ce funeste 28 septembre.
Au contact des délices du pouvoir, les plus belles intentions des putschistes s'évaporent parfois si vite que l'on ne peut que consentir à leurs concitoyens la faveur de les laisser juger les nouveaux putschistes à leurs seuls actes. Pas à l'aune des charges qu'ils alignent contre leur camarade Sandaogo Damiba, qu'ils viennent de débarquer. RFI : Neuf mois après son coup d’État contre Roch Marc Christian Kaboré, le lieutenant-colonel Damiba a donc été, à son tour, renversé par ses propres camarades. Ce que l’on présentait, hier en début de journée, comme une simple revendication de primes non versées s’est avéré être un nouveau coup d’État. Que dire de ces putschs à répétition, dans un pays dont la situation sécuritaire ne cesse, par ailleurs, de se dégrader ? Ce qu’il y a de prodigieux dans les proclamations de coup d’État, c’est qu’elles sont attrayantes à souhait, suffisamment pour que chacun y trouve de quoi apaiser ses éventuelles frustrations. Les nouveaux putschistes étaient manifestement excédés par le peu de cas que faisait Sandaogo Damiba des questions sécuritaires, qui sont pourtant l'excuse à peine acceptable à son coup putsch. À l’évidence, ses amis, les nouveaux putschistes, acceptaient mal ce qu’ils qualifient de « restauration au forceps d’un ordre ancien », entendez : Blaise Compaoré, à qui il a concédé des amabilités, « au mépris de la justice », insistent ses tombeurs. Ces griefs rejoignent la multitude d’autres qui se relayaient, ces derniers temps dans l’opinion. Oserait-on pour autant suspecter les nouveaux putschistes d’avoir conçu ces déclarations pour se rallier, à bon compte, une opinion déjà agacée par bien des postures du président Damiba ? Avant de lui jeter des fleurs, attendons d’apprécier si, face aux privilèges du pouvoir, il sait rester fidèle à ce qu’il proclame. C’est le capitaine d’aviation Jerry Rawlings qui affirmait, peu avant son arrivée à la tête du Ghana, être expert dans ce que c’est que d’aller se coucher le ventre vide. Nombre de militaires, dans les armées africaines, tirent, en effet, le diable par la queue. Au contact des délices du pouvoir, leurs plus belles intentions peuvent vite s’évaporer. La preuve : il a fallu très peu de temps au président Damiba pour oublier ses vibrants engagements de janvier dernier. Rien ne nous autorise donc, à l’instant présent, à penser que ceux-ci, aujourd’hui, resteront davantage en cohérence avec leur proclamation que ceux-là, hier. Soixante ans de coups d’État, en Afrique, n’auront qu’une succession de fausses promesses, parfois de trahisons éhontées. N’est-ce pas, là, une suspicion de trahison quelque peu excessive ? Non. C’est juste le constat, désabusé, du peu d’égard qu’ont nombre de putschistes pour leur propre parole. Et cela frise parfois une irresponsabilité qui finit par servir d’alibis à d’autres coups d’État. Les cyniques en déduiraient qu’étant donné que tout le monde semble à nouveau s’accommoder des putschs et des putschistes, il ne sert plus à rien de les déplorer. Un de plus, ou un de moins, quelle importance ! Et certains en viennent à espérer que, tôt ou tard, de l’un de ces coups d’État sans fin émergera, pour sauver la patrie, un Sankara, un Rawlings. Un officier qui se rapprocherait un tant soit peu de ce que furent ces deux leaders charismatiques, cela peut, en effet, changer le destin d’un peuple. Pourquoi, alors, ne pas accorder aux putschistes le bénéfice du doute ? La réponse à cette question pourrait être cette confidence, puissante, d’une jeune dame, que vous avez sans doute entendue, hier, au micro de RFI : « On ne peut pas dire que nous sommes fiers d’être Burkinabè ! », disait-elle. Pour avoir été si souvent déçus, et même, par moments, déshonorés par les putschistes, les peuples peuvent prétendre mériter le droit de juger aux actes, et non plus sur la foi de proclamations fourre-tout, conçue pour rallier le plus grand nombre, pour se faire tolérer dans une fonction dans laquelle un bon militaire n’a, en principe, rien à faire.
Par quelles curieuses manipulations les griots obséquieux et serviles entraînent-ils un dirigeant parvenu au pouvoir par des voies démocratiques à se persuader peu à peu d’être à ce point indispensable à son peuple qu'il finit par se vautrer dans le piège sans fin du troisième mandat ? RFI : Avec l’invalidation, ce 23 septembre, du décret présidentiel instituant un comité de rédaction d'une nouvelle Constitution, la Cour constitutionnelle a mis un coup d’arrêt au projet de troisième mandat que tous prêtaient au président Faustin-Archange Touadéra. Ses partisans sont évidemment en colère. Mais, n’est-ce pas tout de même une victoire pour la démocratie centrafricaine ? Mieux qu’un simple coup d’arrêt à un inavouable troisième mandat, cette décision est un acte de courage et de dignité, dont on aimerait tant voir d’autres magistrats, d’autres institutions, s’inspirer, à travers le continent. La justice – une bonne justice – est le rempart ultime contre l’arbitraire, dans une Afrique où la couardise de trop nombreux magistrats explique nombre de crises graves, parfois meurtrières, sans compter les retards et les régressions qui ont assombri l’histoire de nombreux pays, depuis les indépendances. À ceux qui, dehors, braillaient leur hostilité à cette décision, l’on pourrait, à l’instar du président John Kennedy, rétorquer que dans un État basé sur le droit, personne, quelle que soit sa puissance ou son importance, ni aucun groupe, aussi surexcité et bruyant soit-il, n’est en droit de défier le jugement d’une cour. Kennedy, en octobre 1962, faisait escorter James Meredith, étudiant noir, à l’université du Mississipi, jusqu’alors réservée aux Blancs. Les juges constitutionnels centrafricains, ici, imposent la Constitution, que l’on peut désapprouver, mais pas bafouer. N'est-ce pas un peu exagéré de prêter à ces magistrats une telle importance ? Non, au contraire. Lorsque les dirigeants politiques en viennent à considérer que plus aucune limite ne s’impose à eux, et que le prince s’estime au-dessus de ce sentiment que l’on appelle le doute, seule une justice courageuse peut le ramener aux valeurs essentielles qui fondent une nation. Y compris en lui opposant la loi, la loi fondamentale. Surtout en Afrique, où démocratie devrait rimer avec développement. Et si une certaine Afrique va si mal, aujourd’hui, c’est aussi parce que des magistrats lâches et corrompus ont manqué de courage, se sont mis systématiquement au service de chaque pouvoir en place, devançant souvent ses moindres désirs, pour s’ériger en fossoyeurs de l’état de droit et de la démocratie. Avec, en plus, la certitude de ne jamais avoir à rendre des comptes. La présidente Danielle Darlan et ses pairs, juges constitutionnels, entrent dans l’Histoire, et le temps viendra où le peuple centrafricain leur en saura gré. Comment se fait-il que certains chefs d’État se laisse-t-il entraîner dans l’aventure d’un troisième mandat ? C’est généralement bien orchestré, mais souvent sans grande originalité. On dénombre, dans l’entourage de chaque chef d’État, des thuriféraires, dont quelques-uns, plutôt serviles, avec une certaine propension à vouloir, pour leur leader, la vie éternelle, de préférence au pouvoir. En général, ce n’est ni pour le pays ni pour le président, mais pour eux-mêmes. C’est ici qu’interviennent la médiocrité et l’égoïsme. Tel porteur d’encensoir, conscient de ne jamais pouvoir conquérir par le mérite le poste qu’il occupe, se dit que le meilleur moyen de le garder est que jamais le président ne s’en aille. L’intrigue, alors, se substitue à la compétence, et peut même finir par prendre le pouvoir dans le cabinet présidentiel. Ceux-là sont fréquemment prêts au pire zèle, pour un troisième mandat et même davantage, toujours par calcul personnel. Il se trouve, parfois, qu’un dirigeant finisse par se laisser griser par ces flatteries de griots obséquieux et serviles, au point de se vautrer dans la certitude d’être indispensable, à vie, à son peuple.
Un nouveau président au Kenya, à la suite d'un autre qui s'en va, au terme de ses deux mandats constitutionnels, et d'un processus électoral qui n'est, certes, pas irréprochable en tous points, mais conforte les espoirs que beaucoup placent dans une des démocraties les moins discréditée du continent. RFI : Devant une foule immense, William Ruto a prêté serment, mardi 13 septembre, dans un stade de Nairobi, en présence d’une vingtaine de chefs d’Etat africains. « Le petit villageois d’origine modeste », comme il aime à se définir, est donc président. À propos de cette victoire, validée, à l’unanimité, par les juges de la Cour suprême, peut-on parler de revanche sur l’establishment ? Il s’agit, surtout, d’une victoire des institutions électorales et judiciaires du Kenya, dont la fiabilité a été éprouvée et confortée, tout au long de ce processus. Au fur et à mesure du dépouillement, les résultats ont été affichés sur les écrans de télévision, qui donnaient Ruto avec une avance qui s’est resserrée au fil des jours, sans que jamais le perdant ne le devance. La victoire de William Ruto a d’ailleurs été jugée vraisemblable par la société civile, qui a fait un travail que d’aucuns ont jugé sérieux et rigoureux. Les Kényans ont même pu suivre, en direct à la télévision, les plaidoiries et autres argumentations des conseils des candidats qui contestaient les résultats devant la Cour suprême. Sans être parfaite, cette transparence démocratique est de celles dont on rêverait pour toute l’Afrique. À commencer par le respect de la Constitution par Uhuru Kenyatta, qui s’est éclipsé, au terme de son second mandat. Faut-il donc le féliciter pour avoir suivi ce que prescrivait la Constitution ? Non, évidemment ! Mais si l’on continue de se féliciter d’une telle attitude, c’est parce que d’autres s’évertuent à modifier la Constitution, pour toujours plus de mandats, jusqu’à ce que coup d’Etat s’en suive. L’on est peiné devant la frénésie de certains à vouloir mourir au pouvoir. Et la plupart, souvent, n’ont rien apporté à leur peuple durant leurs deux mandats. Ils tentent de faire croire que leur seul objectif est de moderniser les institutions, alors que leur dessein est souvent, de confisquer le pouvoir ad vitam aeternam. Certains dirigeants africains ont même osé, par le passé, citer l’exemple d’Angela Merkel, pour dire qu’il est de grands pays démocratiques sans limitation de mandats. Mais Madame Merkel a travaillé pour le peuple allemand comme peu de dirigeants occidentaux l’ont fait pour leur peuple. Et l’on aimerait tant voir une Merkel au service de quelques-uns des peuples africains confrontés aux présidences à vie ! En plus, si la chancelière avait trouvé en Allemagne une Constitution limitant les mandats, jamais elle ne l’aurait modifiée, pour s’incruster. C’est une question de loyauté. La limitation est récente dans bien des pays… Ceux qui ont un peu de culture vous diront qu’aux Etats-Unis, la limitation ferme du nombre de mandats remonte à 1945, après la mort du président Franklin Delano Roosevelt, qui entamait son quatrième mandat. Cette limitation était pourtant déjà une règle non écrite, une tradition bien intégrée, depuis que George Washington, le premier, déclina, en 1796, un troisième mandat. À son élection, en 1932, Roosevelt devait faire face à la Grande Dépression, redresser l’économie, rompre avec l’isolationnisme et engager son pays dans la Guerre. Autant d’urgences qui s’accommodaient mal de changements de président. D’où ses trois mandats. C’est lorsqu’il décède, en 1945, que les Américains décident de graver dans le marbre cette limitation. La présidence à vie est une tentation bien humaine, et il faut beaucoup de hauteur, pour ne pas s’accrocher, a fortiori, s’en aller. La limitation des mandats a été introduite en France, en 2008. Le monde évolue, dans un certain sens. L’Afrique doit-elle, en sens inverse, régresser ? Même du temps de la non-limitation, des Africains d’envergure savaient quitter le pouvoir : Léopold Sédar Senghor, Ahmadou Ahidjo, Julius Nyerere, Nelson Mandela…
À quoi sert-il pour les dirigeants africains de magnifier les qualités de la défunte souveraine si, de par leurs propres pratiques, ils se situent aux antipodes des valeurs qu'incarnait la Reine d'Angleterre ? A la quasi-unanimité, l’Afrique a salué, et de manière plutôt vibrante, la mémoire d’Elizabeth II, dont le pays était, de tous les empires coloniaux, celui qui comptait le plus grand nombre de possessions en Afrique. Toutes ont acquis l’indépendance après l’accession de la jeune reine au trône, en 1952. Comment expliquer, alors, ces critiques virulentes dirigées contre elle, alors que tous lui reconnaissent d’avoir travaillé sans relâche pour instaurer des rapports apaisés avec l’Afrique ? De nombreux peuples africains ont, enfouies dans leur mémoire collective, des blessures de répressions et autres brutalités infligées par la colonisation, britannique ou autre. En dépit du temps, ce passé peut encore raviver des rancœurs, et lorsque surgit la rancœur, le sens de la nuance s'estompe. Or, lorsque l’on aborde une vie comme celle d’Elizabeth II, toute analyse est faussée, dès lors que l’on s’entête à englober dans un tout indissociable la personnalité, sa vie et ses origines. Être née princesse, et même finir reine, ne rend pas, ipso facto, coupable de tous les crimes de la colonisation ou même de ses ancêtres. Durant son très long règne, son sens moral l’a souvent poussée à se démarquer de l’exécutif, voire à contrarier un Premier ministre sur certaines questions majeures. Dans cette monarchie constitutionnelle, elle semble avoir toujours veillé à ne pas se situer du mauvais côté de l’Histoire. Ainsi, était-elle pour les sanctions contre l’Afrique du Sud raciste ; contre la confiscation du pouvoir par une arrogante minorité ségrégationniste en Rhodésie du Sud, et finalement pour l’indépendance du Zimbabwe. Elle a même refusé de mépriser un Kwame Nkrumah ostracisé par le gouvernement britannique. Sa vie, plus que jamais, est un livre ouvert, que l’on feuillette en mondovision, et les Africains, plutôt que d’y rechercher d’improbables violences délibérées contre leurs peuples, seraient mieux inspirés de s’interroger sur la cohérence et la sincérité de l’admiration que semblent lui vouer nombre de leurs dirigeants. Pourquoi donc ? Ces dirigeants n’auraient-ils pas le droit de l’admirer, eux aussi ? Ils ont tous les droits. Mais, certains peuples peuvent être troublés d’entendre leurs dirigeants magnifier des vertus prêtées à la défunte reine, alors que dans leurs propres pratiques du pouvoir, ils sont aux antipodes desdites valeurs. Avant d’être aimée du monde, Elizabeth II a su se faire aimer de son peuple. Notamment par son dévouement, son souci des autres et sa capacité à rester dans les limites de ses prérogatives constitutionnelles. Car, il y a des limites, même au pouvoir d’une reine ! Et c’est sur l’observation scrupuleuse de ces limites que se fonde, de manière durable, la liberté et la démocratie. Les populations attendent donc de leurs dirigeants davantage que de les voir rudoyer, au pays, les textes, raboter les lois, et tricher pour confisquer tous les leviers du pouvoir, en s’attribuant, au besoin, les prérogatives dévolues aux contre-pouvoirs puis, ensuite, se présenter à la face du monde, pour chanter les louanges d’Elizabeth II. L’Afrique a tout de même eu, pendant près d’un quart de siècle, un modèle propre, ami, du reste, de la défunte reine : Nelson Mandela !... Oui ! Et certains dirigeants africains quémandaient presque ses visites, et en ont parfois obtenu. Mais, souvent, c’était pour juste profiter de son aura, sans chercher à s’en inspirer, dans une saine émulation. Combien de Mandela, même approximatifs, l’Afrique a-t-elle produits, depuis 1990 ? Combien de dirigeants peuvent se prévaloir de l’intégrité de cet homme, de son esprit de sacrifice, de son sens de l’intérêt général et de toutes ces valeurs qui justifient que le monde, aujourd’hui, pleure Elizabeth II, comme il pleure encore Mandela, tandis que d’autres, à peine engloutis par la terre, sont effacés, oubliés pour l’éternité !
Avec le décès de l'ancien président Gorbatchev, c'est aussi une page de l'histoire de l'Afrique qui se tourne, même si elle n'a pas l'importance que lui prêtent certains. L'Afrique n'a, en tout cas, jamais eu autant besoin de se penser par elle-même. Alors que le monde salue son rôle dans la chute du Mur de Berlin et la fin de la Guerre froide, les funérailles de Mikhaïl Gorbatchev se déroulent dans une relative indifférence, à Moscou. Comment expliquer que certains voient en lui l’homme qui a sonné le glas des partis uniques et des régimes autocratiques, en Afrique, et ouvert la voie à la démocratisation des pays du continent ? Ces événements ont, certes, eu leur part d’incidence sur la fin du parti unique dans nombre d’Etats africains, mais il a fallu, en réalité, la conjonction d’une multitude d’événements pour libérer de la peur les populations contraignant les régimes autocratiques à se démocratiser, presque partout sur le continent. ► À écouter aussi : avec la disparition de Gorbatchev: «La fin du monde bipolaire a permis une ouverture politique en Afrique» Tout aussi impressionnante que la chute du Mur de Berlin, la chute de Nicolae Ceausescu, en décembre 1989, a ébranlé bien des chefs d’Etat africains, qui étaient, pour la plupart, ses amis personnels. Ce dictateur déstabilisé par la révolte d’une population jusque-là soumise, traqué, arrêté puis sommairement jugé, et aussitôt exécuté… ces images avaient donné aux peuples africains une incroyable détermination, pour affronter les petits timoniers et autres guides éclairés, qui savaient devoir concéder beaucoup, pour échapper à un sort identique à celui du « génie des Carpates ». En cette fin d’année 1989, la peur avait radicalement changé de camp. Le Bénin marxiste de Mathieu Kérékou, affaibli par une situation économique désastreuse, sera le premier à céder à une conférence nationale souveraine, qui fera école. Quel autre événement a pu peser sur la rigidité des régimes de parti unique ? Huit jours avant le démarrage de la Conférence nationale souveraine du Bénin, un prisonnier politique, qui a résisté, vingt-sept années durant, à toutes formes de pressions et d’intimidations, sortait de prison, sans avoir rien renié de ses convictions et des revendications de son peuple. Voir, ainsi, Nelson Mandela sortir triomphalement de prison, sous le regard admiratif de milliards de téléspectateurs, était, pour les Africains, l’indication que la résistance pouvait être payante, en tout cas plus que les compromissions. On pourrait y rajouter le fameux discours de La Baule, dans lequel François Mitterrand, en juin 1990, exhortait ses pairs africains à démocratiser, pour espérer l’aide de la France. Gorbatchev n’aurait-il donc pas suffisamment pesé dans l’avènement de la démocratie en Afrique ? Le débat ne devrait même plus se situer à ce niveau, trente ans après. L’Afrique se perd toujours, en se laissant porter, (positivement ou négativement), par le poids dont peuvent peser dans son destin des personnalités ou des événements extérieurs au continent. Soixante ans d’indépendance, dont une moitié parsemée de coups d’Etat, et ponctuée par le parti unique et sa cohorte de régimes plus ou moins autocratiques... Les trente dernières années ont été marquées par des expérimentations parfois hasardeuses, pompeusement baptisées « démocratie ». Et ce cycle s’achève avec le retour banalisé des aventures putschistes. Et soudain, on réalise que l’Afrique n’a ni prévu ces coups d’arrêt ni pensé ce qui doit suivre, alors que l’on nous prédit de traumatisantes crises économiques, dans lesquelles se débattront tant bien que mal les nations dotées d’institutions solides avec des bases économiques plus ou moins saines, tandis que les plus vulnérables risqueraient de croupir durablement au fond des pires classements. Pour avoir vu se succéder au pouvoir, ces trente dernières années, le meilleur et le pire du spectre des prétendants imaginables, les populations se demandent à quoi peut ressembler le leadership visionnaire qu’on leur suggère comme solution, pour échapper au pire. ► À lire aussi : Sous Gorbatchev, la chute de l'URSS et ses conséquences sur les régimes africains alliés
Sur un continent où la disparition d’un seul leader d'envergure suffit pour que le destin de tout un peuple se trouve détraqué, et pour longtemps, nombreuses sont les leçons que les hommes politiques et les peuples africains peuvent tirer du sacrifice de sa vie, consenti par Patrice Lumumba. Sa famille semble apaisée de pouvoir donner enfin à Patrice Emery Lumumba une sépulture où reposer en paix. Alors que les populations de la République démocratique du Congo, dans une ferveur perceptible, n’en finissent pas de s’incliner devant la seule relique qui reste du héros panafricaniste, certains Africains refusent de se résoudre à cet apaisement voulu par sa famille, et continuent de crier leur colère. Comment expliquer cela ? À l'indépendance, Patrice Lumumba était de ces leaders totalement en phase avec leur peuple et leur patrie. Il portait les espérances de l’Afrique, avec une détermination qui a vite effrayé le néocolonialisme naissant, dont les tenants étaient, pour la plupart, dans le camp occidental. Le langage, pour exprimer alors la foi panafricaniste, résonnait aux oreilles de l'Occident comme le pire péril communiste. En pleine guerre froide, l’Ouest comme l’Est n'envisageait avec l'Afrique qu'un amour exclusif, frisant le totalitarisme. Et l’assassinat, l’aurions-nous oublié, est un moyen de travail habituel et justifié du totalitarisme cynique. D'où la cruauté avec laquelle ils ont achevé Lumumba, et qui continue de révulser des millions d’Africains. Car, selon les propres mots de Lumumba, « les blessures sont encore trop douloureuses, aujourd'hui, pour que l’Afrique puisse les chasser de sa mémoire ». Certes, la récupération de cette dent met fin à six décennies de profanation du corps du héros continental. Mais, respecter la paix du cœur voulue par la famille n’empêche pas de décolérer, rien qu’en imaginant l’inhumaine férocité avec laquelle ces gens ont achevé ce leader posé, pacifique, qui n’avait pour seule arme que la puissance du verbe, au service de la dignité de son peuple. Ni canif ni rien d'autre, pour agresser ou pour se défendre. Mais n’était-il pas opposé à une trop forte coalition d’intérêts ? Évidemment, à cette ignominie se trouvaient mêlés, à des degrés divers, la Belgique, les États-Unis, d’autres pays occidentaux, peut-être même quelques sensibilités, dans le bloc soviétique. Mais le pire est que d’autres Africains, dirigeants du Congo d’alors ou futurs maîtres du Zaïre, étaient également impliqués. Sans compter les petites mains d’Africains serviles, assignés aux besognes trop répugnantes, pendant que leurs maîtres regardaient ailleurs. Cela signifie-t-il que c’était aussi aux peuples de protéger leurs leaders ? Pour avoir essuyé les pires violences de l’histoire, ces peuples, qui constituent ce que Césaire appelait une communauté d’oppression subie, devraient cesser de rester là, à pleurer leurs héros assassinés, et à tenir les comptes, pendant que sont liquidés, sous leurs yeux, d’autres, leurs prophètes, comme dirait Bob Marley. Depuis Lumumba, que de dirigeants jaloux des intérêts de leurs peuples ont péri ou fait l’objet d’attentats ! Tout au long de ces six décennies, chaque profil qui se distinguait comme leader charismatique, à la probité intacte, devenait une cible. À son peuple, Lumumba promettait que seraient désormais siennes, cette terre et toutes ses richesses. Mais en quoi les Congolais se sont-ils rendus maîtres des richesses du Congo, depuis soixante-et-un ans ? Il pleurerait, s’il découvrait que rien n’a changé, même dans le triste destin de « peuple de boys », dont il ne voulait plus pour les Congolais ! Le seul véritable réconfort résiderait aujourd'hui dans le fait que par son sacrifice, Lumumba a davantage fait pour le Congo que Mobutu et consorts. Si seulement les dirigeants africains pouvaient comprendre enfin que leurs peuples sont une bien meilleure source de légitimité que les soutiens opportunistes qu’ils recherchent à l’extérieur, et qui finissent, tôt ou tard, par fragiliser toute la nation ! Dans l'immédiat, l’Afrique a plus que jamais besoin de héros vivants, tant la disparition d’un seul bon leader semble suffire, pour que le destin de tout un peuple se trouve détraqué, et pour longtemps. ► À lire aussi : Patrice Lumumba: 61 ans après sa mort, la Belgique restitue sa dépouille à la famille
On sait quand débute l’insécurité terroriste, mais nul ne peut en prévoir la fin. Et il faut, juste, une réelle confiance en soi pour prétendre circonscrire ce fléau à une échéance prévisible. À Seytenga, le bilan est lourd : 86 civils massacrés par des jihadistes, qui avaient pris leur temps, pour parachever l’horreur qui a plongé le Burkina Faso dans la perplexité. Qu’adviendra-t-il de la junte, si ces terroristes continuaient de massacrer ainsi, étant donné que c’est pour en finir avec ces massacres à répétition que les militaires avaient, en janvier dernier, renversé le président Roch Marc Christian Kaboré ? À l’évidence, il était présomptueux, de la part de cette junte, de justifier son putsch par ce qu’elle considérait comme l’incapacité du président Kaboré à protéger les populations contre la violence des jihadistes. Le lieutenant-colonel Sandaogo Damiba pensait pouvoir faire mieux. Mais, au rythme auquel vont les tueries, des questions gênantes vont se poser à lui. À quoi sert-il de mettre un coup d’arrêt à la vie démocratique de la nation, pour passer le plus clair de son temps à constater les massacres, comme celui qu’il a chassé du pouvoir ? Un auditeur de RFI s’est même offusqué, cette semaine, de ce que ces officiers n’en finiraient pas de se partager les postes juteux à Ouagadougou. Si c’était vrai, comme ce serait désespérant ! Il existe, dans cette partie de l’Afrique, une espèce de fourmis, dites légionnaires, que l’on appelle aussi fourmis magnans. Lorsqu’elles envahissent votre maison, votre capacité de riposte est amoindrie. Même lorsque vous croyez vous en être débarrassé, il en surgit encore, des coins et recoins, qui vous piquent, et cela fait très mal. Le terrorisme auquel est confronté le Burkina, comme, du reste, le Mali et le Niger, est comme les fourmis magnans ! Quand elles sont dans la demeure, il faut de la patience, de la rigueur et de la persévérance, pour venir à bout. Il n’empêche que c’est sous Roch Marc Christian Kaboré que ce terrorisme s’est installé au Burkina, vous en convenez ? Qui donc a « convié » les jihadistes au Burkina ? Kaboré a été élu président le 29 décembre 2015. Le colonel Isaac Zida, « numéro deux » du RSP (la garde présidentielle de Blaise Compaoré) et miraculeusement Premier ministre du Faso depuis la chute de son patron, quitte ses fonctions, le 6 janvier 2016. Neuf jours plus tard, le 15 janvier, trois attentats violents frappent, en plein centre de Ouagadougou, dont Le Cappuccino, et l’hôtel Splendid. Ce dispositif terroriste avait forcément été mis en place bien avant l’élection de Kaboré. D’ailleurs, on apprendra que certains jihadistes avaient table ouverte à Ouaga 2000 depuis des années. À ceux qui s’étaient étonnés de voir à la tête du gouvernement né de l’insurrection le « numéro deux » de la garde du président déchu, les stratèges de l’insurrection expliqueront que c’était le seul moyen de s’assurer que d’autres militaires ne songent à déstabiliser cette transition. Peut-être qu’à force de surveiller ses propres camarades militaires, Zida a oublié de protéger le pays contre la menace jihadiste, pour léguer aux civils un Burkina des plus vulnérables, et déjà gangrené par les fourmis magnans. Le président Kaboré n’aurait-il donc aucune responsabilité dans l’aggravation du mal ? Si ! Forcément, puisqu’il a passé six années au pouvoir. Mais, à force d’instrumentaliser son incompétence supposée, ses détracteurs avaient fini par installer la question du terrorisme au cœur d’un profond malentendu. Certains pensaient même qu’il suffirait que le Grand-frère revienne d’Abidjan pour que l’ordre règne au Burkina. Mais, non ! Ce sont des fourmis magnans ! Si vous les laissez entrer, elles mutent, se reproduisent. Souvenez-vous de l’Algérie ! Bien qu’ayant une armée puissante, combien d’années a-t-il fallu à Alger pour venir à bout du terrorisme ? Pour déplorer l’obstination de certains Africains à refuser d’aborder frontalement les problèmes, notre ami Sidy Diallo aimait s’exclamer ainsi : « Ah ! la vie des Noirs ! » De manière plus explicite, Aimé Césaire, lui, déplorait l’habileté de certains à mal poser les problèmes pour mieux légitimer les odieuses solutions qu’ils leur apportent.
On n'imagine pas à quel point un Etat peut être vulnérable, lorsqu'un homme politique se laisse « acheter » par des hommes d'affaires véreux, sachant flairer le politicien avec un potentiel, et même des chances d'accéder à la magistrature suprême ! Un homme (ou une femme) qui, une fois aux affaires, leur renverra l'ascenseur, les laissant piller, pourquoi pas, les entreprises d'État, l'État… Un peu comme les Gupta, en Afrique du Sud, sous Jacob Zuma. L’Afrique du Sud semble perplexe, face à la coïncidence entre l’arrestation, en début de semaine à Dubaï, de deux frères Gupta impliqués dans le pillage de l’Etat sous Jacob Zuma, et la suspension de la Médiatrice de la République, en charge de la lutte contre la corruption, par le président Ramaphosa, qu’elle poursuit. Comment expliquer que les mandats de tous les successeurs de Mandela soient entachés par de tels scandales ? Mandela avait voulu, à la fin de l’apartheid, l’émergence d’une élite économique noire. Des fortunes ont alors vu le jour, qui s’apparentent aux oligarques, en Russie. Madiba demandait implicitement aux leaders de l’ANC de choisir entre faire partie de la direction politique du pays et s’enrichir. Syndicaliste avisé, Ramaphosa avait alors préféré aller faire fortune, et n’est revenu à la vie politique active que plus tard. Zuma, lui, voulait et le pouvoir et l’argent. C’est ce qui l’a si souvent conduit aux fréquentations peu recommandables, qu’il traîne comme autant de boulets. Pour couvrir ses arrières, il tentera, en vain, de positionner son ex-épouse, pour lui succéder. Puis il a nommé cette médiatrice, qui n’a cessé de le protéger. Il faudra, certes, éclaircir l’affaire des cambrioleurs de la ferme de Ramaphosa. Mais, l’affaire Gupta est autrement plus grave. Et, pour être juste, Thabo Mbeki n’était pas corrompu. Il avait juste tenté, maladroitement, d’empêcher Zuma, qu’il considérait comme corrompu, de s’asseoir dans un fauteuil sanctifié par Mandela, et que lui-même avait valablement occupé. C’est ce qui lui a valu d’être contraint à la démission, mais l’histoire lui a largement donné raison, depuis. Mandela n’a-t-il pas involontairement introduit le virus de l’avidité dans le pays ? Nullement ! Un leader, si éclairé soit-il, ne peut prévoir comment peuvent être perverties dans le futur, les orientations qu’il donne. Au lendemain des indépendances, Félix Houphouët-Boigny aussi avait voulu que l’élite politique qui l’entourait s’enrichisse, pour générer une bourgeoisie nationale, à laquelle il demandait de faire ruisseler vers les communautés dont elle était issue ce qu’elle engrangeait de sa proximité avec le pouvoir. Il n’empêche que, recevant les rapports sur la fortune astronomique d’un patron des Douanes, le « Vieux », avec ce calme qui le caractérisait, s’exclamera : « C’est à moi qu’incombe la faute ! Je l’ai laissé trop longtemps à ce poste ! ». Pour sévir contre ces abus scandaleux, le « Vieux » s’appuie alors sur un ingénieur français, directeur des Grands Travaux. Sans être au gouvernement, Antoine Césaréo, dans les années 1980, était redouté des ministres et de tous. Mais Césaréo commençait à prendre trop d’importance. Aussi, le jour de la réception des clés de la basilique de Yamoussoukro, dont il supervisait la construction, il est subitement congédié par Houphouët-Boigny. Très vite, le « Vieux » réalise qu’il lui faut quelqu’un d’autre, pour tempérer la gloutonnerie ambiante. Il charge alors un certain Alassane Dramane Ouattara, gouverneur de la BCEAO, de coordonner l’action gouvernementale. Celui-ci avait l’avantage d’être peu connu des Ivoiriens, pour avoir fait ses études à l’étranger, et n’avoir jamais travaillé au pays. Il le nomme finalement Premier ministre. La suite, on la connaît… Ce que l’on voit aujourd’hui sur le continent n’est-il donc que la suite de ce qui prévalait sous Houphouët-Boigny ? On dira : la finesse, en moins. Aujourd’hui, tout commerçant véreux, qui a su miser sur un homme politique plus ou moins vulnérable, qu’il finance durant son parcours ou dans sa conquête du pouvoir, se sent le droit de s’engraisser sur le dos du peuple, une fois son « poulain » aux affaires. Margoulins, hommes de paille et autres Gupta surgissent alors, pour non seulement s’enrichir, mais aussi piller l’Etat et peser sur ses décisions majeures. Souvent, avec la complicité de quelques hauts fonctionnaires cupides.
Sur un continent qui a formé tant de cadres de qualité depuis les indépendances, doit-on persister à réserver à un seul chef d'État le privilège du choix du gouverneur d'une banque centrale commune à huit États ? L’Ivoirien Alassane Ouattara va-t-il, en marge du sommet de la Cédéao, ce samedi 4 juin, à Accra, révéler à ses pairs de l’UEMOA le nom du successeur qu’il a choisi pour remplacer Tiémoko Meyliet Koné au poste de gouverneur de la Banque centrale des États de l’Afrique de l’Ouest ? C’est à lui qu’appartient la décision, puisque, ce poste revient d’ordinaire à la Côte d’Ivoire. Pourquoi, alors, dites-vous qu’il faut en finir avec cette règle ? Parce que, comme tout monopole, celui-là est un frein à l’excellence. Dès lors que le poste est acquis à un pays, le chef de l’État songe à y caser quelqu’un de fidèle, de malléable, sinon de soumis, plutôt que de s'embarrasser avec un hypothétique meilleur candidat. Dans l’histoire récente de la BCEAO, on a pu, hélas, apprécier les effets pervers de ce mode de désignation. L'institution s'est, de fait, retrouvée au cœur du conflit qui a coûté la vie à quelque 3 000 Ivoiriens. Le gouverneur Philippe-Henri Dacoury-Tabley, désigné à ce poste par le président Gbagbo, avait fini en prison, après s’être vu reprocher d’avoir continué à mettre les facilités financières de l’État ivoirien à la disposition d’un chef d’État censé ne plus en être un. Il suffit de si peu, pour faire régresser de plusieurs décennies ces institutions qui se jugent également sur leur gouvernance. La solidité de la Banque africaine de développement, par exemple, s’est beaucoup construite sur la saine concurrence entre les postulants à sa présidence, chaque pays s'appliquant à présenter le meilleur profil possible. Certains pays ne pourraient-ils pas craindre de toujours perdre, dans une compétition ouverte ? Ceux qui aborderaient la question sous cet angle pourraient aussi bien décréter qu’ils ont définitivement renoncé à former leur jeunesse. Sans compter que même les États réputés indigents du point de vue de l’éducation comptent, à l’extérieur, des cadres bien formés, compétents, qu'ils peuvent proposer comme candidats. Évidemment, autant un pays comme le Sénégal sait promouvoir les meilleurs de ses ressortissants, autant certains pays préfèrent laisser échapper ces postes, plutôt que de soutenir des compatriotes qui ne sont pas de la bonne couleur politique. Sur le chantier de l'essor continental, chaque peuple se doit de proposer les meilleurs des siens, car l’Afrique ne se construira pas dans le culte de la médiocrité. La Côte d’Ivoire choisit le gouverneur, parce qu’elle pèse lourd dans cette union monétaire. Après tout, un chef d’État ne peut-il pas aussi opérer d’excellents choix ? Heureusement ! Mais il peut aussi lui arriver de promouvoir un patron de peu d’envergure, qui s’avérerait être un potentat, instillant une forme de népotisme national dans des institutions encore en quête de solidité. Ce genre de patron est souvent enclin à considérer que sa loyauté ne doit aller qu’au chef d’État qui l’a placé là. Pour ce qui est du poids des pays, on peut peser lourd dans une institution et ne pas forcément disposer du meilleur candidat pour la diriger. À la Banque des États de l’Afrique centrale, ils ont, d’ailleurs, fini par renoncer à cette règle, après le long monopole du Gabon, puis de la Guinée équatoriale. Aujourd’hui, c’est un Tchadien qui gouverne l’institution. C’est dire ! Avec une telle logique, si l’on en arrivait à une véritable monnaie ouest-africaine, le Nigeria écraserait toutes les autres nations, qui n’auraient qu’à subir. Ce monopole de désignation explique pourquoi certaines institutions interétatiques se muent en lieux de pouvoir national, sur fond d’intrigues et de clientélisme. Et le fauteuil de gouverneur, ici, le titre de président, là, peuvent devenir grisants, avec tous ces prédécesseurs qui ont fini comme Premier ministre ou chef d’État. ► À lire aussi : Mali: un accord est-il possible avec la Cédéao sur les futures élections ?
… Pour priver les putschistes d’alibis. Si un coup d’État paraît invraisemblable au Ghana, au Cap-Vert ou au Sénégal, c'est parce que la démocratie, dans ces pays, a atteint un niveau de maturité tel que les problèmes les plus graves se résolvent autrement que par les armes, et que les militaires ne peuvent oser se substituer à l'élite politique. Au Mali, la croissance devrait stagner, cette année, selon la Banque mondiale, qui prévoit qu’elle pourrait même s'avérer négative. Cette contre-performance découlerait de l’effet conjugué de la persistance de la violence armée et des sanctions économiques de la Cédéao. L’économie malienne serait-elle sur le point de s’écrouler ? Les sanctions marcheraient-elles donc ? Qu’elle s’écroule ou pas, cela ne profitera à personne. Ces sanctions intempestives, sans « plan B », n’ont fait que confirmer l’impasse d’une décision autoritaire, qui a sous-estimé ce que la Cédéao avait à y perdre. Pour avoir trop souvent gardé un mutisme gêné pendant que l’on massacrait, ici la Constitution, là la population, la Cédéao a contribué à générer les conditions déterminantes pour les coups d’État, désormais bel et bien de retour en Afrique de l’Ouest. Et la Cédéao ne peut ordonner aux putschistes de regagner immédiatement leurs casernes, en espérant être écoutée. C’est le signe que le temps est venu de laisser les peuples assumer leurs erreurs, plutôt que de vouloir leur imposer des choix que l’on croirait bons pour eux. S’ils veulent applaudir les putschistes, à eux de l’assumer. Regardez donc comme le peuple soudanais souffre, se bat, dans l’indifférence, pour mettre fin à la confiscation du pouvoir par une junte brutale et perfide ! Il souffre. Mais, tôt ou tard, il prendra le dessus, et la victoire découlant de cette abnégation ne sera que plus solide, plus durable. ► À lire aussi : Sommet de la Cédéao le 4 juin: accord en vue pour le Mali? Laisser les Maliens s’assumer, c’est aussi s’abstenir d’alimenter ce qui peut les distraire. Comme cette impression d’être toujours en train de se battre contre un adversaire, sinon un ennemi extérieur. Pendant ce temps, les putschistes ne répondent de rien. Lorsque Rawlings prend le pouvoir au Ghana, en 1979, il n’a pas besoin de deux discours pour que ses jeunes compatriotes comprennent où il veut conduire la nation. C’est cela, le leadership visionnaire ! Il leur a fallu tant et tant d'efforts, mais, au bout, le Ghana qu'ils ont bâti offre l'épanouissement à tous les talents. Un président sortant peut y être battu après son premier mandat. Et si le peuple lui en accorde un second, jamais il n’oserait des manœuvres pour s’en offrir un troisième. Faut-il comprendre que certains putschistes prennent le pouvoir sans aucune vision ? C’est l’impression que l’on a, parfois, avec ces pléthores de conseillers plus ou moins occultes autour des putschistes, qui rivalisent d’autant plus de zèle que leur destin, souvent, est éphémère. Lorsque la voie que vous lui indiquez est claire, cohérente et convaincante, et que vos priorités ne vont pas changeantes, votre peuple vous suivra, cinq ans, plus, s’il le faut, dès lors que vous lui inspirez suffisamment confiance pour le protéger, le défendre et l’élever vers un destin clément. Justifier un coup d’État par les seules erreurs ou les incohérences des prédécesseurs ne saurait suffire, pas plus que la promesse de corriger ces erreurs ne peut légitimer un régime d’improvisation permanente, sans obligation de résultats. À l'évidence, la Cédéao est incapable de remettre en selle les chefs d’État renversés. Pourquoi, alors, ne pas s’essayer à prévenir les coups d’État ? Après tout, si, au milieu de la nuit, l’on vous annonçait qu’il y a un coup d’État au Ghana, au Cap-Vert ou au Sénégal, vous répondriez que c’est une plaisanterie ! Parce qu'en Afrique de l'Ouest, la maturité démocratique, dans ces États (et dans deux ou trois autres), rend les coups d’État à peu près inimaginables. Pourquoi, alors, chaque nation ne travaillerait-elle pas pour se hisser à ce niveau, qui priverait les apprentis-putschistes d’alibis pour perturber la vie politique ?
Alors qu'il s'achemine, à 89 ans, vers le quarantième anniversaire de son accession à la magistrature suprême, Paul Biya vient d'effectuer un épuisant aller et retour, qui est le signal qu'il doit à présent (bien) gérer la fin de son très long règne, s'il veut éviter au pays une guerre féroce entre les prétendants, après lui. Il devra aussi gérer le sort des nombreuses personnes qui l'ont servi, et dont certains meurent en prison, pour des péchés qu'il sait répandus à davantage de dignitaires que ceux qui se font prendre. RFI : À l’approche du cinquantenaire, ce 20 mai, de la réunification, le chef de l’Etat camerounais a effectué à Genève un « court séjour privé », peu commenté au pays, mais qui a fait l’objet d’un traitement peu flatteur dans la presse helvétique. C’est courant, dites-vous Jean-Baptiste. Mais, alors, pourquoi dites-vous aussi que les Camerounais auraient tort d’ignorer les leçons de ce dernier épisode. Parce que ce voyage illustre quelques-unes des plus attristantes réalités des quarante ans de pouvoir de Paul Biya. Ce déplacement ne visait qu’à remettre le président d’aplomb, afin qu’il tienne la forme lors du défilé commémorant ce que l’on appelait autrefois « La révolution pacifique du 20 mai ». Le pouvoir non seulement s’est évertué à ne pas expliciter l’information, mais a brouillé les pistes tandis que ses proches faisaient « avaler » à Paul Biya, 89 ans, près de 14 000 kilomètres en l’espace de cinq jours. C’est donc la presse genevoise qui s’est chargée de préciser la destination, et de détailler, avec ses mots, les réelles motivations de ce voyage. Avec un résultat peu avantageux pour le Cameroun et son président, donc, peu avantageux pour l’Afrique. Dans le monde d’aujourd’hui, lorsque vous pensez tenir votre peuple dans l’ignorance de réalités qui le concernent, d’autres se chargent de les lui révéler, souvent sous un angle déplaisant. Le président était un peu fatigué, c’est un être humain ! Il avait besoin d’un peu de repos, ou même d’un bilan de santé. C’est tellement plus simple ! Et plus sincère que ce communiqué alambiqué, qui tendait à traiter les Camerounais comme des demeurés. Qu’a donc dit la presse helvétique de si désobligeant sur ce voyage ? Pour faire sobre, disons qu’elle a clairement annoncé que Paul Biya était en Suisse pour se soigner, et souligné que ce pourrait être « le dernier de ses très nombreux voyages à Genève ». Pourquoi le dernier ? Nul ne sait si ce pronostic définitif se fonde sur une source médicale, ou s’il se réfère simplement aux 89 ans du président. L’ultime pique est que Paul Biya est, aujourd’hui, le plus ancien des chefs d’Etat en exercice dans le monde. On oubliera les classiques sur le train de vie insolemment luxueux du couple présidentiel camerounais à Genève. Il faudra, par contre, que l’on nous explique, un jour, pourquoi ce président aime tant la lointaine Suisse, douze fois plus petite que « son » si beau Cameroun et ses sites majestueux, ses richesses, ses compétences dans tous les domaines, y compris en médecine. Et pourquoi cette fixation sur une Suisse, qui l’aime de moins en moins, ou ne l’a peut-être même jamais aimé que pour son argent… Les formations sanitaires camerounaises ne peuvent peut-être pas prendre en charge ses besoins de santé… Soit ! Alors, ce chrétien, dont on vante tant l’humanisme, devra expliquer pourquoi il refuse, par exemple, cette même chance d’aller sauver leur vie aux ex-dignitaires de son régime, tombés en disgrâce, dont certains meurent en prison, au nom de la lutte contre la corruption. On parle d’un risque de cécité totale pour Marafa Hamidou Yaya, qui fut longtemps son plus proche collaborateur, et qui supplierait, expertises médicales à l’appui, de pouvoir aller sauver ses yeux. On a beaucoup parlé d’Amadou Vamoulké, autre ex-dignitaire, vivant avec des douleurs permanentes, à qui n’a jamais été accordée la faveur d’aller sauver sa vie, lui qui n’a toujours pas été jugé, et qui, depuis cinq ans, bat des records mondiaux de reports d’audiences. Condamné, même pour détournement, ne saurait signifier condamnation à mort. Surtout lorsque la rigueur parfois capricieuse de la moralisation de la vie publique épargne certains. Comme si le salut passait d’abord par le dévouement total. Surtout ne jamais déplaire...
Leur union pouvait paraître politiquement risquée, mais ils ont tenu bon, et réalisé de grandes et belles choses, au service de la Côte d'Ivoire. Ce vendredi 13 mai, L'Ambassadrice est allée rejoindre, au cimetière de Jacqueville, son héros, l'Ambassadeur. Sa compagne de pratiquement six décennies est allée le rejoindre. Ainsi s'achève une des plus édifiantes leçons d’ouverture d'esprit. Itae Missa est ! C’est une histoire d’amour, qui mêle politique, diplomatie, et aurait pu inspirer un roman, ou même un film, pourquoi pas ! Elle démarre sur un paquebot transatlantique, voguant vers New York, avec de jeunes Africains, partant poursuivre leurs études aux Etats-Unis, en ce début des années 60. Elle était une toute jeune, belle et brillante bachelière, que la Guinée de Sékou Touré envoyait aux Etats-Unis avec une des bourses d’études que l’Amérique de John F. Kennedy offrait aux Etats nouvellement indépendants d’Afrique. Également sur le transatlantique, un jeune bachelier ivoirien, repéré par un professeur à la retraite, que Félix Houphouët-Boigny chargeait de suivre le parcours des lycéens ivoiriens en France. L’histoire ne dit pas lequel des deux a séduit l’autre. Toujours est-il que la jeune Guinéenne et le jeune Ivoirien, envoyés aux Etats-Unis par des gouvernements dont les chefs d’Etat se haïssaient, tombent amoureux. En dépit du non-alignement proclamé, la Guerre froide prévalait en Afrique : la Guinée penchant pour le bloc soviétique, et la Côte d’Ivoire résolument pro-occidentale. La jeune bachelière n’était pas une Guinéenne quelconque, tombée amoureuse d’un Ivoirien quelconque. Elle était programmée pour faire partie de l’élite guinéenne, et la voilà qui passe dans le camp de celui qui, pour Sékou Touré, était alors le pire ennemi. Etait-elle la seule à déserter ? Nombre de jeunes Guinéens ne désertaient-ils pas le pays, à l’époque ? Beaucoup fuyaient, en effet, la dictature et, souvent aussi, une formation au rabais. Tant et si bien, d’ailleurs, que durant les deux premières décennies d’indépendance, la Guinée était, de loin, le pays d’Afrique qui comptait le plus de citoyens bien formés, de très haut niveau et même franchement brillants à l’extérieur. Mais, ceux-là fuyaient pour eux-mêmes ! Ici, c’est un futur diplomate d’Houphouët-Boigny qui ravit à la Guinée une étudiante envoyée aux Etats-Unis avec une des bourses les plus prisées. Pour Sékou Touré, ce ne pouvait être qu’un coup bas. Félix Houphouët-Boigny ne tardera d’ailleurs pas à être au courant de la « prouesse » de son jeune compatriote. Il ne s’en vantera pas, mais il saluera, à l’occasion, la beauté, la culture et la distinction de cette Guinéenne, épouse de celui qui sera son dernier ambassadeur à Washington. Dans ces ambassades prestigieuses, on vous envoyait avec votre épouse. Finirons-nous par avoir les noms des deux têtes d’affiche ? A moins que le film ne se termine mal... L’histoire s’est achevée dans l’émotion, hier, vendredi, à Abidjan, où ceux qui l’ont connue et aimée ont fait leurs adieux à Fatime Kader, la jeune bachelière guinéenne des années 60. Elle avait fondé, avec Charles Providence Gomis, le bachelier ivoirien du transatlantique, une belle famille, qui a représenté la Côte d’Ivoire de Félix Houphouët-Boigny au Canada, au Brésil, au Mexique, aux Etats-Unis… De retour en Côte d’Ivoire après le décès, en 1993, d’Houphouët-Boigny, Charles P. Gomis sera, tour à tour, conseiller du président de la Banque africaine de développement, ministre des Affaires étrangères, chef d’une éprouvante et interminable mission des Nations unies en RDC, puis, ambassadeur de Côte d’Ivoire en France. A l’aube de ses 80 ans, il espérait, en regagnant la terre natale, enfin une retraite bien méritée. Mais il est aussitôt choisi comme sénateur par le chef de l’Etat, sur son quota constitutionnel. Charles Providence Gomis était vice-président du Sénat ivoirien, lorsqu’il décéda, en juillet 2021. Sa veuve ne lui aura pas survécu dix mois. Fatime et Charles Gomis, réunis dans l’au-delà, vont peut-être retrouver Sékou Touré et Houphouët-Boigny, pour vider enfin le contentieux né de leur amour. A moins que l’un des deux anciens chefs d’Etat ne se trouve en enfer, en train d’expier… ses œuvres terrestres.
Comme il peut être pénible, pour des professionnels qui risquent parfois leur vie pour bien informer, de s'entendre suspecter d'être aux ordres, par des gens qui ne devraient pas se permettre de tels excès. Pour rapporter une information juste et équilibrée dans certaines rédactions, on peut mourir, et l'on meurt, sur le terrain. Un mot, juste un petit « vous », de Serge Djorie, ministre la Communication et porte-parole du gouvernement centrafricain, à Guillaume Thibault, (journaliste à RFI, ndlr), vous a semblé tomber particulièrement mal à propos, cette semaine où l’on commémorait la journée mondiale de la Liberté de la presse. Qu’y avait-il donc de si gênant dans ce seul « vous » ? Il convient de rappeler que le ministre était interrogé sur les conséquences de la décision du FMI et de la Banque mondiale de surseoir à tout décaissement en faveur de la RCA, pour ne pas avoir à verser indirectement leurs honoraires aux mercenaires auxquels le gouvernement centrafricain nie toujours avoir recours. Ce coup dur pour les finances centrafricaines intervient moins d’un an après la coupure, par la France, de son aide budgétaire à ce gouvernement. Avec un évident agacement, Monsieur Djorie rétorque à Guillaume Thibault que cela n’inquiète personne, puis il lance : « Je pense que c’est un chemin de l’indépendance que vous êtes en train de nous apprendre ! ». Ce « vous » tendrait à signifier à Guillaume Thibault que lui et le gouvernement français ne font qu’un, englobant même, pourquoi pas, le FMI et la Banque mondiale. Une telle insinuation trahit une conception singulière du métier de journaliste. Peut-être l’a-t-il dit, parce que RFI est un média au financement public… Les journalistes des médias financés par l’État ne sont pas, partout, aux ordres. Sous certaines latitudes, ces journalistes finissent en prison, sont empoisonnés, ou même assassinés, parce qu’ils osent, justement, exercer leur métier dans le respect d’une certaine déontologie. Ailleurs, ces journalistes, par leur sérieux et leur rigueur, embarrassent quotidiennement les pouvoirs politiques. Ils font même, parfois, tomber des politiciens puissants, voire des gouvernements. Certes, à l’intérieur de chaque système politique, il y a des nuances, des subtilités, le pire et le meilleur, qu’il importe d’intégrer à toute analyse crédible. Mais, si certains régimes autoritaires considèrent les médias financés par l’État comme un outil de propagande à leur disposition, dans le monde libre, ces médias sont juste des organes de service public. Au service, non pas des dirigeants du moment, mais des citoyens, qui ne défilent pas tous sous la même bannière. Comme la BBC, au Royaume-Uni, Radio Canada, au Canada, la SABC en Afrique du Sud, RFI est, en France, une radio de service public. Quel observateur sérieux se hasarderait à imputer à un journaliste de la BBC la responsabilité d’actes posés par le gouvernement de Boris Johnson ? Ou à un journaliste de Radio Canada les erreurs éventuelles de Justin Trudeau ? Même si, encore une fois, il y a, partout, quelques brebis galeuses. Comment comprendre, alors, cette insinuation du ministre centrafricain de la Communication ? Peut-être a-t-il l’habitude, depuis son imposant ministère, d’inonder de consignes et d’injonctions intempestives les journalistes des médias d’État centrafricains. Il imagine donc que Guillaume Thibaut doit, lui aussi, recevoir quotidiennement ses ordres d’une autorité gouvernementale française. Et pourtant, s’il écoutait attentivement RFI, il saurait que ni le chef de l’État français, ni ses ministres n’échappent aux critiques, sur cette antenne, et c’est l’honneur d’une profession. Le ministre serait plus utile à son pays, en respectant l’indépendance des journalistes centrafricains, plutôt qu’en essayant de questionner, au moment où l’on commémore la journée mondiale de la liberté de la presse, la crédibilité de journalistes qui, chaque fois qu’ils mettent les pieds à RFI, se réunissent dans des salles, interviennent dans des studios qui leur rappellent qu’à la recherche d’une information juste et équilibrée, ils peuvent, comme quatre de leurs confrères, mourir sur le terrain.
Si, un demi-siècle après sa mort, l'Osagyefo continue d'être autant vénéré en Afrique et au-delà, c'est parce que sa sincérité panafricaniste et son intégrité morale n'ont jamais été mises en cause… Les Ghanéens ont commémoré, cette semaine, le cinquantième anniversaire de la mort du Dr Kwame Nkrumah, chantre du panafricanisme, premier président du Ghana. Renversé en 1966, il est mort en exil, le 27 avril 1972. Il a, certes, été réhabilité, depuis. Mais on a peine à s'expliquer comment un leader aussi adulé à l'échelle continentale a pu connaître une telle fin. Et, encore moins, pourquoi certains, dans son pays, continuent de le décrire comme un dirigeant autoritaire et sans pitié ? Panafricaniste visionnaire, leader d’envergure, héros… Il l'était, mais n’était pas que cela. Pour tirer, de la vie de ses grands hommes, des leçons lucides et utiles, l’Afrique devrait cesser de banaliser leurs faiblesses. Le brillant et charismatique Nkrumah supportait mal la contradiction et s’était, peu à peu, renfermé dans la certitude de sa toute-puissance, perméable au culte de la personnalité, hermétique à la critique, et si redouté que, pour le renverser, les putschistes ont préféré attendre qu’il soit en voyage à l’étranger. Contre un palais vide, c’est toujours moins risqué… Évidemment, les sentiments ambigus qu’il pouvait inspirer au Ghana même contrastaient avec sa très bonne image, à l’extérieur. Oublions ceux qui lui étaient attachés par une affection forcée, et même les pays voisins, qui suspectaient des velléités hégémoniques dans son panafricanisme pressant, persuadés que Nkrumah ne voulait les États-Unis d’Afrique qu'à la condition que ce soit sous sa coupe. Malgré toutes ces réserves, il demeure un des plus grands leaders de l’Afrique indépendante… Exact ! Parce que les peuples africains, de désillusion en désillusion, apprennent à accepter qu’un héros puisse ne pas être parfait, dès lors que le meilleur de ce que l’on en retient constitue une source d’inspiration pour une jeunesse en manque de modèles. Le seul enjeu étant d'aider les peuples et le continent à changer de destin. Après tout, n'est-ce pas dans cet esprit qu'a germé le panafricanisme dans le cœur d'une élite noire de la diaspora, aux États-Unis et dans les Caraïbes ? Ils l’ont initié, dans le dernier tiers du XIXe siècle et porté jusqu'à l'implanter, à partir de 1945, sur le sol d’Afrique. Edward Wilmot Blyden, Henry-Sylvester Williams, William Edward Burghardt Du Bois, Alan Locke, Jean-Price Mars, Marcus Aurelius Garvey, George Padmore, Nnamdi Azikiwe, Jomo Kenyatta, Kwame Nkrumah… Autant de noms, que Léopold Sédar Senghor avait sans doute à l’esprit, lorsqu’il écrivait qu’il est des noms qui sonnent comme un manifeste. En ce temps-là, le panafricanisme était errant, dans un environnement hostile. L’Afrique encore sous domination coloniale, les Noirs américains, encore avec à peine des droits… Le premier congrès pan-nègre se tient à Londres, en l’an 1900. Suit un deuxième, en 1912, à Tuskegee, ville d’Alabama, connue pour abriter une des universités historiquement noires des États-Unis. Où en est-on du panafricanisme, selon Nkrumah, aujourd’hui ? Son rêve a, certes, tourné court, mais sa sincérité panafricaniste et son intégrité morale valent à l'Osagyefo d’être, à tout jamais, le héros continental que continue de vénérer l’Afrique. Mais, avec le tournant, raté, d’une OUA qui a déçu, en mai 1963, avant d'avoir servi, lui-même admettait avoir, quelque part, échoué. Comme dans une célèbre réplique de Brutus à Cassius, [dans Jules César], on serait tenté de dire qu’il est, vraiment, dans les affaires humaines, une marée montante. Qu’on la saisisse au passage, elle vous mène à la fortune. Mais, qu’on la manque, et tout le voyage de la vie s’affaiblit dans des cloaques et de terribles misères. Et si tous les déboires actuels du continent découlaient du rendez-vous manqué avec la marée montante de mai 1963 ? On rêvait d'un embryon d'États-Unis d’Afrique et l'on se retrouve avec une multiplicité d'États, souvent peu viables, parfois moins enviables qu'un bantoustan. Mais, cet échec semble parfaitement intégré par une partie de la jeunesse, prompte à s’autoproclamer panafricaniste, en ressassant quelques phrases définitives ou des citations à peine digérées. Au point de faire oublier que, davantage qu'une posture, le vrai panafricanisme ne se proclame pas. Il se vit !
C'est aussi à sa capacité à transformer les très bons éléments qu’il recrute en d'excellents potentiels successeurs que se mesure la réussite d’un chef d’Etat… Patrick Achi a finalement été reconduit au poste de Premier ministre, et le président Ouattara, déjouant les pronostics, a nommé Tiemoko Meylet Koné au poste de vice-président. Le gouverneur de la Banque centrale des Etats de l’Afrique de l’Ouest devient donc le dauphin constitutionnel du chef de l’Etat ivoirien. Comment comprendre ces choix, censés clarifier le jeu politique, et organiser une éventuelle succession à la tête de l’Etat ? Ces choix, pour le moins inattendus, pourraient paraître surprenants, aux yeux de ceux qui l’ont attendu et en attendaient davantage qu’un simple réaménagement de l’équipe présidentielle. Un an, pour finalement confirmer l’intérimaire à la primature, et deux ans, pour se rabattre sur la BCEAO, où il a lui-même effectué l’essentiel de sa carrière, juste pour trouver un remplaçant à un vice-président, qui était, lui aussi, déjà un ancien de la BCEAO… On se demande pourquoi avoir risqué, tout ce temps, un vide constitutionnel de fait, pour trouver un profil si prévisible. Au regard de ce que les plus sévères assimilent déjà à un choix par défaut, certains se demandent si le président ne manque pas sérieusement d’hommes et de femmes à qui confier, en toute sérénité, les clés du palais. Et cette fixation présidentielle sur la BCEAO paraît d’autant plus préoccupante que la Côte d’Ivoire regorge de sujets d’élite, formés dans les plus prestigieuses universités et grandes écoles de la planète, avec une expérience de très haut niveau, dans de grandes institutions et des multinationales. A quoi tient, alors, l’incapacité à trouver des successeurs valables ? C’est forcément au président qu’incombe, en premier lieu, la responsabilité de cette impression de pénurie de potentiels successeurs compétents et dignes de confiance. Mais, il a eu beau être solide et brillant, l’obséquiosité qu’entretiennent quelques-uns parmi les plus audibles dans son entourage, agit sur les talents et le génie comme un terrible désherbant. Avez-vous entendu ce proche qui, au sortir du discours présidentiel, a aboyé dans les micros « sa » certitude biblique ? « Là où le président Ouattara met le doigt, la lumière aussitôt jaillit ! », disait-il. En clair, quoi qu’il décide, « ADO » aura toujours raison. Cerné par des laudateurs aussi obséquieux, le meilleur des dirigeants finit par perdre sa capacité à générer des leaders dignes de la magistrature suprême. Car, dans un tel environnement, les talents se flétrissent et, à force de raser les murs, les plus brillants finissent par perdre leur éclat. On peut être éjecté, pour insuffisance de zèle. Et ceux qui, pour faire carrière, se joignent au concert de louanges n’inspirent pas au président ce sentiment que l’on appelle le respect. En tout cas, pas suffisamment pour qu’il veuille leur céder son fauteuil. Vous décrivez là de bien tristes réalités !... Ce n’est, hélas ! pas propre à la seule Côte d’Ivoire. Dans nombre de pays de notre Afrique, l’environnement immédiat des chefs d’Etat est souvent le lieu où se flétrissent les étoiles, lorsqu’elles n’explosent pas. Le nivellement se fait par le bas et les sujets les plus sérieux et les plus solides se retrouvent parfois isolés, coupés de tout contact avec le président, et s’éteignent peu à peu, à force de végéter. Rares sont les courageux qui osent alors démissionner. C’est lorsque ils ont le plus besoin d’éléments de valeur, à la hauteur des défis majeurs, que les chefs d’Etat s’aperçoivent que les étoiles ont pâli. La réussite d’un chef d’Etat se mesure aussi à sa capacité à transformer les très bons éléments qu’il recrute en d'excellents potentiels successeurs. Mais cela suppose qu’il sache protéger les meilleurs qu’il attire contre les intrigues et les petits enjeux et jeux de pouvoir des sous-chefs, maîtres de la médiocrité, qui font la loi autour de lui.
Kigali a bien posé quelques conditions à cet accord (déjà controversé), conclu avec Londres pour « éloigner » les candidats à l'installation dans le royaume. Mais il en faudra davantage pour réparer ce qui aura été abîmé, surtout à l'image d'un dirigeant qui était en passe de devenir l'idole d'une certaine jeunesse africaine. Le Royaume-Uni va « relocaliser » au Rwanda les migrants et les demandeurs d’asile entrés irrégulièrement sur son territoire, en attendant de statuer sur leur sort. Ils pourront, ensuite, soit s’établir dans le pays, soit rentrer chez eux ou, qui sait, être admis en Grande-Bretagne. Comment expliquer la vivacité des réactions que suscite cet accord, qui n’est pourtant pas le premier ? Ce n’est, certes, pas la première fois que des États africains se voient proposer une telle offre, que la plupart finissent par décliner, en raison du coût politique dans l’opinion. Mais la manière totalement décomplexée avec laquelle Paul Kagame assume une transaction aussi préoccupante interpelle les consciences, d'autant plus que l’Afrique semblait le créditer d'un leadership visionnaire, en décalage avec l'acte que pose son pays. C'est donc à dessein que, dans leurs réactions, les ONG ont autant insisté sur le fait qu’en dépit des prouesses économiques du Rwanda, Paul Kagame est loin d'être un démocrate. Ce qui renforce les inquiétudes quant à ce qu’il pourrait advenir de ces personnes qui plaçaient leurs espérances dans le Royaume Uni, et vont peut-être devoir s'inquiéter pour leurs libertés, au Rwanda. D'aucuns ont même rappelé que ce régime était soupçonné d'enlever (ou de liquider) ses opposants à l’étranger. Kigali et Londres promettent pourtant d’aider ces personnes à reconstruire leur vie au Rwanda, pays dont les performances économiques, sous le leadership de Paul Kagame, sont admirées de tous… Il faut davantage qu’une multitude d’intentions généreuses pour rassurer les ONG et les Nations unies, dans cette drôle de « relocalisation ». Si le rêve de ces personnes avait été de « reconstruire leur vie » au Rwanda, elles ne l'auraient pas risquée dans le désert, la Méditerranée, puis la Manche. Chaque fois qu'il nous est arrivé d'encenser le développement du Rwanda, les réactions pleuvent, qui rappellent quel dirigeant impitoyable peut être Paul Kagame. Tout aussi vaines sont les comparaisons bienveillantes avec Jerry J. Rawlings, qui, une fois son pays sur la rampe de lancement, démocratisa, puis passa le témoin. Sauf que l'on vous rétorquera que Paul Kagame a déjà passé au pouvoir deux fois plus de temps qu’il n’en a fallu à Rawlings pour faire du Ghana la brillante démocratie à l’économie prospère que l'Afrique admire. Ceux qui pardonnent tout, ou presque, à Paul Kagame, partent du postulat que les Africains seraient prêts à tout subir, dès lors qu’ils peuvent manger à leur faim. Mais, c’est tout le contraire de ce que montrent ces peuples, dignes et debout, même dans la misère, qui sont d'abord épris de justice et de liberté, pour pouvoir s’épanouir, travailler au bien-être de leur communauté, sans envier personne. Les seuls freins au développement de ce continent sont les entraves aux libertés fondamentales, la perfidie de dirigeants politiques qui modulent les lois et les règles au gré de leurs intérêts, manipulent la justice, faussent l’équité, vicient les critères d’impartialité. Pour réaliser à quel point ces valeurs sont intrinsèques à la vie en société en Afrique, il suffit de se remémorer cette injonction de ses sujets à l’Almamy Samory Touré, leur souverain: « Si tu ne peux être impartial, cède le trône aux hommes justes ! ». C'est dans l’hymne de l’Empire du Wassoulou. Rien de tel, en effet, que des dirigeants justes et impartiaux, pour stimuler et magnifier le génie d’un peuple. Mais le président Kagame rappelait encore, il y a peu, la crédibilité de la justice de son pays, la fiabilité de son régime… Difficile d'accepter la sincérité des compliments, pour les prouesses économiques, et de contester les imperfections relevées, sur le plan des libertés individuelles. Le Botswana, le Cap-Vert, la Namibie, Maurice, sont aussi des réussites économiques, en Afrique, et n’éprouvent aucun besoin de défendre l’honorabilité de leur démocratie. Car, cela saute aux yeux.
Des peines exemplaires, assurément ! Mais le procès lui-même est loin de l'avoir été. Du moins, pour ceux qui en attendaient un éclairage courageux sur l'histoire de l'ex-Haute-Volta, la justice pour toutes les victimes, pas pour les seules victimes célèbres, gage d'une réconciliation sincère entre Burkinabè. En dépit des très lourdes peines prononcées, ce 6 avril, au procès sur l’assassinat de Thomas Sankara, il demeure de nombreuses zones d’ombre, quant au rôle des principaux accusés dans la fin tragique, le 15 octobre 1987, de l’icône de la jeunesse africaine. Doit-on, pour autant, considérer ce procès comme un rendez-vous manqué du Burkina avec son histoire ? Au-delà de la justice, pour les victimes, l’intérêt de ce type de procès réside, d’ordinaire, dans l’occasion qu’il offre, à une nation, de laver en famille l’intégralité de son linge sale, pour crever les abcès, vaincre la méfiance et les suspicions, et se mettre à rebâtir ensemble un avenir commun. Certes, les condamnations donneraient à penser que justice a été rendue. Mais, il se trouve, hélas ! que ce procès a un peu oublié de faire la lumière sur les mœurs politiques de l’époque, qui pourraient tout expliquer, y compris le sanglant feu d’artifice qui a coûté la vie à Thomas Sankara et à ses douze compagnons d’infortune. La vérité, essentielle, pour réconcilier un peuple qui a vécu de telles violences, aura terriblement manqué, dans ce procès, parce que certains ont déserté ou choisi de se taire. Comment faire la lumière, lorsque, la plupart des accusés présents dans le box brillent, justement, par leur mutisme ou la dénégation ? C’est une forme d’omerta qui les a desservis. Entre deux cures de mutisme, le général Diendiéré ne se privait pas de signifier à ses accusateurs qu’ils ne comprenaient rien à ce dont ils parlaient. Il aurait pu, de manière plus explicite, rappeler que dans un environnement de western, où tous avaient la main sur la gâchette, Thomas Sankara, toute une icône panafricaine qu'il était, n’en était pas moins un des leurs, avec une claire conscience des règles du jeu. Blaise Compaoré, aurait pu, lui aussi, se présenter à la barre, en s’inscrivant résolument dans le registre de la vérité intégrale, en précisant le contexte, et même en plaidant la légitime défense. Car, si lui et ses compagnons avaient perdu ce jour-là, rien ne leur aurait été épargné. On se souvient, d'ailleurs, que dans son premier discours à la nation, il avait implicitement assumé cette mort violente de Sankara, qui n’aurait pas été prévue, et même pas voulue, disait-il. Avec une certaine dignité, il avait alors admis que son « ami » avait su incarner les espérances de leur peuple. Au fil du temps, le si humble président Compaoré avait pris une telle assurance ! Il était devenu si puissant, en Afrique de l’Ouest, qu’il en était arrivé à ne plus éprouver le besoin de s’excuser pour la façon dont il était parvenu au pouvoir. Dans son camp, certains commençaient alors à rappeler, mezzo voce, que c’est Sankara en personne qui avait introduit la violence et les tueries dans la vie politique, au Burkina, suppliciant qui il voulait, y compris dans cette même enceinte du Conseil de l’Entente où il périra. Il est bien facile, à ce prix, de casser l’image d’une idole continentale Son éloquence, ses idées généreuses et son charisme ont propulsé Sankara à tout jamais au panthéon des héros de la jeunesse africaine. Tout peut donc lui être pardonné. Mais, il n’est pas aisé de se retrouver face aux souffrances de familles qui pleurent, elles aussi, les leurs, tués d’une manière violente dont ils imputent la responsabilité à Thomas Sankara. C’est en cela que ce procès aurait pu être très utile, sur certains pans de la révolution sankariste. La réconciliation d’un peuple ne peut faire l’économie de la vérité sur ce type de violence. Tout comme l’image de Sankara dépend, elle aussi, de toute la vérité. Les peuples africains ne demandent pas des héros en tous points irréprochables. Pour être adulé et mériter l’indulgence des peuples, il suffit d’être simplement juste, droit et sincère. Après tout, Sankara lui-même, de son vivant, s’est bien excusé, pour certaines de ces violences.
Bien malgré eux, les Africains sont, une fois encore, « utilisés » dans la campagne pour l’élection présidentielle française pour nourrir les thèses xénophobes. À cette même heure, la semaine prochaine, nous serons à la veille du premier tour de la présidentielle, en France. Et c’en sera fini d’une campagne marquée, vue d’Afrique, par la déclaration d’un des candidats d’extrême-droite, faisant des Sénégalais des trafiquants d’un certain type de drogue. Il promet de les renvoyer chez eux, s’il était élu président. Comment comprendre cette déclaration, qui n’a pas offusqué que les Sénégalais ? Dans les campagnes présidentielles, en France, les propos de ce type sont devenus un classique, ces dernières décennies. Dans une surenchère qui n’est, hélas, pas le monopole de la seule extrême-droite, l’Africain est un souffre-douleur bien commode, pour certains politiciens baignant dans la facilité et le mépris. Certains se souviennent sans doute des déclarations de cette figure majeure de la vie politique française, qui disait pourtant vénérer Félix Houphouët-Boigny, et aimer l’Afrique et les Africains, mais n'avait pu s’empêcher de stigmatiser la famille africaine nombreuse, réputée fainéante et « profiteuse », accumulant des revenus mirobolants, grâce aux prestations sociales, et rendant les Français du voisinage fous, avec « les bruits et les odeurs ». « Avoir des Espagnols, des Polonais et des Portugais chez nous, ça pose moins de problèmes », concluait Jacques Chirac, devant un vaste auditoire, en juin 1991, à Orléans. À ces propos font échos ceux que l’on a pu entendre, ces dernières semaines, sur les réfugiés ukrainiens, qui seraient plus acceptables, question de culture, que d’autres ! Face à un tel mépris, les générations africaines d’avant préféraient serrer les dents, pour ne pas exploser de colère. Les jeunes d’aujourd’hui, parfois, répliquent avec vivacité, ou alors, traitent à leur tour par le mépris ce qu’ils perçoivent comme de la duplicité, puisqu’on leur fait, croire qu’on les adore, lorsqu’ils se nomment Mbappé, Benzéma, Kanté, Tchouameni, et portent haut les couleurs de la France, mais que l’on stigmatise leurs frères et sœurs, qui ont eu moins de chance. Comme si le Pogba qui joue pour la Guinée était moins homme que le Pogba qui joue en équipe de France. Ces politiciens vous diront ne stigmatiser que les délinquants sénégalais ! C’est à vérifier. Ces Sénégalais présumés délinquants ne sont pas en France par hasard. Ils sont pareils aux franco-sénégalais. Pour espérer, de temps à autre, quelques talents qui aident la France à remporter la Coupe du monde de football, ou honorent la langue française et enrichissent la culture de ce pays par leurs qualités artistiques, il faut prendre le risque d’admettre qu’il puisse y avoir, aussi, quelques-uns qui s’en sortent moins, et finissent même délinquants, comme dans toute société humaine. En somme, vous suggérez que l’on ne préfère pas ceux qui brillent à ceux qui ont moins de chance ou de talent. Est-ce bien cela ? Même le présumé délinquant peut s’avérer talentueux et faire, un jour, résonner « La Marseillaise » dans un stade olympique ; ou sauver un enfant sur le point de tomber du troisième étage d’un immeuble. Son fils peut devenir un grand portier pour les Bleus, sa fille, une artiste talentueuse… Que serait devenu Paris si, dans les années soixante-dix et quatre-vingts, il n’y avait eu, pour débarrasser la ville de ses ordures et la préserver d’épidémies diverses, des éboueurs venus du fin fond du Mali, du Sénégal ou d’ailleurs ? Dans l’histoire commune à la France et à ses anciennes colonies, si l’on aime le meilleur, alors, il faut apprendre à accepter le moins bon, et même le pire, d’où peut aussi surgir le meilleur. Dans une nation qui a conscience de sa diversité, ceux qui souffrent et peinent à se faire une place méritent autant le respect que ceux qui affichent une certaine réussite. Car, tout homme est homme.
Il avait à cœur le devoir, sacré, d’une nation, qui était de protéger ses citoyens. Mais lorsque, à une période délicate de sa vie, le « grand serviteur de l’État » a eu besoin de protection, on l’a tout simplement abandonné à son sort… L’annonce de la mort, en détention, lundi 21 mars, de l’ancien Premier ministre malien, Soumeylou Boubèye Maïga, a donné lieu à de nombreux commentaires émus à travers le continent. Comment expliquer que seule la déclaration du président Mohamed Bazoum du Niger déclenche des réactions virulentes à Bamako ? Sans doute parce que c’est celui qui désigne, par les mots les plus précis, et avec la gravité qui sied, la cruelle désinvolture avec laquelle a été gérée l’agonie de l’homme. L'état de « Boubèye » était connu, et les médecins avaient tiré la sonnette d’alarme. Son épouse avait même ouvertement supplié le colonel Goïta d’éviter à son mari une « mort par abandon et négligence programmée ». Hélas ! L’histoire se termine de la manière tragique que tous craignaient. Sous prétexte de ménager les susceptibilités, on a pris, en Afrique, l’insupportable habitude de ne pas désigner les situations par leur nom. Bien des drames auraient pu être évités à ce continent, si les chefs d’État, avec courage et franchise, savaient rappeler à leurs devoirs les dirigeants qui s’égarent. On ne sauvera pas ce continent par la couardise. Un homme est mort, que l’on savait en danger, et il faut oser le dire. En 1977, Modibo Kéita est mort dans des circonstances à peine différentes, c’est un fait historique. Pour l’Afrique, renouer avec de telles pratiques est un recul, et les personnes qui seraient tentées d’applaudir devraient garder à l’esprit que cela peut arriver à chacune d’entre elles. Vous êtes donc en colère, vous aussi… Mais, « Boubèye » était tout de même inculpé pour « faux, usage de faux et favoritisme », dans une affaire de détournement de deniers publics ! Rendre justice implique de veiller à ce que le prévenu arrive, vivant, devant ses juges, pour répondre de ce qui lui est reproché, même si certains trouvent commode qu’il ne soit plus là pour s’expliquer. Quelle curieuse preuve d’amour pour la patrie, que celle qui consiste à laisser mourir un homme que l’on salue, par ailleurs, comme un grand serviteur de l’État ! Par probité morale, je me dois de préciser, ici, que Soumeylou Boubèye Maïga est mon camarade de promotion. Nous avons sillonné le monde ensemble, à l’époque où les étudiants de troisième année du Cesti de Dakar et de l’École supérieure internationale de journalisme de Yaoundé se regroupaient, pour un semestre à l’Institut français de presse, à l’université de Paris II, Panthéon-Assas, puis un semestre à l’université de Montréal, au Canada. Perceviez- vous déjà l’homme politique derrière l’étudiant ? Pas tant que cela. Il avait des convictions. Par contre, j’ai pu le voir à la manœuvre, pour dissuader par une menace de grève un chef de département, à l’université de Montréal, qui voulait, pour des raisons budgétaires, raccourcir notre séjour à New York. Or, pour nous, ces quelques semaines étaient le bouquet final, sacré, pour nous familiariser avec le système des Nations unies et, surtout, pour une immersion dans ce qui était alors considéré comme la plus grande école de journalisme au monde, l’École de journalisme de Columbia University. Longtemps après, alors que j’étais en reportage à Bamako, Boubèye, le patron des services de renseignements, m’a emmené en balade dans la ville. Soudain, désignant un immeuble en chantier, il m’explique que le promoteur est recherché par la justice internationale. À ma question : « Allez-vous le livrer ? », il répond : « C’est notre compatriote. Nous lui devons protection ». Au moment où, malade, lui avait tant besoin de protection, on l’a laissé tout simplement mourir…
Le « Pritzker », prestigieuse marque de reconnaissance, qui passe pour le « Nobel » d’architecture, vient d’être décerné, pour 2022, au Burkinabè Diébédo Francis Kéré. Son pays en sort grandi. L’Afrique aussi. Le Burkina, toujours à la Une de l’actualité. Et cette semaine, c’est pour le meilleur, puisque le Pritzker, considéré comme le « Nobel » d’architecture, vient d’être décerné à Diébédo Francis Kéré. Son œuvre, au Faso, en Afrique et de par le monde, lui vaut d’être salué comme un pionnier de l’architecture durable. Comment expliquer l’enthousiasme que semble soulever sa distinction, bien au-delà de son Burkina natal ? Au-delà de sa seule personne, la simplicité, l’humilité et la probité intellectuelle qu’affiche Diébédo Francis Kéré sont quelques-uns des signes distinctifs du peuple burkinabè. Avant que l’on ne commence à bomber le torse à Ouaga, il faut préciser qu’à cette règle, il y a tout de même quelques exceptions, évidemment ! Il n’empêche. C’est toujours un bonheur, pour les peuples africains, de découvrir de nouvelles figures talentueuses et convaincantes, avec ces qualités essentielles que sont la simplicité, l’humilité, l’empathie. Ce bonheur est d’autant plus grand, lorsqu’il survient pendant que d’autres, avec une inébranlable constance, s’évertuent à semer le désarroi au sein des populations, à jeter le discrédit sur l’Afrique. Par le choix des matériaux, cet architecte montre que les populations, y compris dans les hameaux les plus reculés, ne dormaient pas nécessairement à la belle étoile, avant que n’arrive la modernité. Comme pour faire comprendre que l’argent, la ruse et l’imposture n’auront pas le dernier mot sur ce continent. Et si, en dépit de tout ce qu’elle subit ou s’inflige, l’Afrique regorge encore de femmes et d’hommes d’une telle qualité, d’un tel talent, avec autant de simplicité et d’humilité, alors, il y a de la place pour nos certitudes d’espérance ! A quoi reconnaît-on, aussi vite, de telles qualités chez un homme que l’Afrique découvre à peine ? Il y a des signes qui ne trompent pas. D’abord, la naissance de l’œuvre architecturale. Commencer par une école, dans son village, en sachant le peu de chance qu’il y avait de voir les projecteurs arriver un jour jusque dans ce petit coin de terre qui l’a vu naître, relève du pur désintéressement. Aujourd’hui, l’on ne parle plus de l’homme et de son œuvre, sans commencer par citer cette petite école, construite par les habitants de Gando, avec des matériaux locaux. Bénin, Kenya, Mali, Mozambique, Soudan, Togo, la signature de l’architecte illumine l’Afrique dans toute sa diversité, Sans compter l’Europe, l’Amérique du Nord… Mais, quelle que soit la splendeur de ce qu’il a pu réaliser ensuite, la vedette sera toujours l’école du village, et cette marque de fabrique que l’on nomme architecture durable. Pourquoi donc Diébédo Francis Kéré convainc-t-il d’emblée ? Probablement parce que les valeurs qui lui servent de viatique dans son travail conviendraient si bien à la vie des nations africaines qui voudraient avancer. « Ce n’est pas, dit-il, parce que l’on est riche que l’on devrait sombrer dans le gâchis. Ce n’est pas parce que l’on est pauvre qu’il faut se complaire dans la médiocrité. Les pauvres ont droit à la beauté, à la qualité, autant que les riches ». Avec la même précision qu’il met dans les formes des bâtiments et autres immeubles qu’il construit, cet architecte donne l’impression de parler à l’âme des peuples, lorsqu’il parle de ses œuvres. Et il le fait de manière touchante, avec des mots simples, l’expression précise, sensée, pour expliquer l’esprit de ce qu’il conçoit. De l’Assemblée nationale, en jachère à Ouaga, il dit qu’il est « un emblème à donner à la démocratie, un lieu qui hébergera un idéal ». « J’espère, insiste-t-il, qu’il y aura, un jour, des dirigeants qui comprennent cette nécessité ».
À force de trop se disperser et de verser dans des règlements de comptes mesquins et sélectifs, les juntes militaires donnent l'impression de vouloir les transitions en longueur non pas pour l'intérêt des peuples, mais pour des bénéfices personnels. En Guinée, l’opposition rompt le silence et demande au colonel Mamady Doumbouya de s’engager clairement sur la façon dont il entend conclure la transition, entamée avec son coup d’État de septembre 2021. Presque aussitôt, le colonel a annoncé, pour le 23 mars, des assises nationales. Ce réveil de l’opposition marque-t-il véritablement la fin de l’état de grâce pour la junte ? Il faut bien convenir que l’opposition semblait quelque peu gênée, dans l’embarras, pour critiquer cette junte, dont elle avait applaudi le putsch, en banalisant la répression des forces spéciales que dirigeait le colonel Doumbouya, sous Alpha Condé, avec des dizaines de morts parmi ses propres militants. Cette unité était bel et bien l’arme principale de répression du régime déchu contre les opposants. Depuis, l’on en était à se demander si cette opposition, superbement ignorée par la junte, n’était pas tout simplement éteinte. Visiblement, elle vit encore. Entendre ces leaders de l’opposition qui s’étaient effacés devant Doumbouya émettre des exigences et proférer des menaces est donc loin d’être banal. Leur reste-t-il des moyens humains pour mettre leurs menaces à exécution ? Nul n'a oublié que la foule sans nombre qui acclamait le colonel dans les rues de Conakry est exactement la même qui, des mois durant, s’était opposée au troisième mandat d'Alpha Condé. Pour reprendre, contre le colonel, les manifestations qui déstabilisaient naguère le régime Condé, ils devraient s’assurer de la disponibilité de ces foules, désorientées par la versatilité de leaders qui les voulaient laudateurs hier, et les veulent détracteurs, aujourd’hui. Les assises nationales que promet la junte ne suffiraient-elles pas à calmer les opposants ? D’une junte à l’autre, ce sont les mêmes assises nationales que l’on organise, exactement comme l’on tenait, en d’autres temps, une conférence nationale. Ce n’est pas très original. Et le contenu des assises est indéfini. Certes, au bout de ces palabres, on promet le salut aux Guinéens ! Mais, tout cela ne trahit pas moins une désolante indigence d’imagination, de la part des militaires ouest-africains. C’est ici que l’on réalise, avec nostalgie, la chance extraordinaire qu’ont eue les Ghanéens avec J.J. Rawlings et ses idées simples, mais limpides. Ou la chance inouïe des Voltaïques, avec un Thomas Sankara qui avait réfléchi à tout ce qu’il désirait de bien pour son peuple, avant même d’engager, avec Lingani, Zongo et Compaoré, leur coup d’État. Plus près de nous, Paul Kagamé n’a pas attendu d’avoir pris le pouvoir, pour explorer la destinée enviable qu’il désirait pour son peuple. Sans un projet politique consistant, se saisir du pouvoir par les armes relève de l’expérimentation hasardeuse. Ces assises sont perçues par certains opposants comme pour une manière de gagner du temps, pour prolonger la transition. Cela reste possible. Mais la durée de la transition ne devrait pas susciter autant de psychodrames, avec la Cédéao en arbitre discutable. Si l’on accepte les coups d’État, alors, on peut aussi accepter que les putschistes prennent le temps d’achever le travail, pour mettre la nation sur des bases solides pour l’état de droit, la démocratie et le développement, et pour ne pas devoir revenir. Cela ne devrait pas être un sujet de marchandage. Par contre, l’on est quelque peu perplexe, lorsque les putschistes occupent leur temps et leur énergie durant cette transition à des affaires de résidences indûment acquises par tel ou tel, donnant cette impression gênante d’improvisation, de divagation, avec des objectifs changeants et des préoccupations dérisoires, au regard des vrais problèmes d’une nation. Les règles claires vous rendent meilleurs, alors que les règlements de comptes mesquins et sélectifs déshonorent fatalement les causes les plus nobles.
La justice, rattrapée par l'actualité. Comment condamner une prise de pouvoir par la force des armes, tandis que la plus haute juridiction du pays entérine un coup d'État ? C'est un casse-tête qui devrait ralentir les ardeurs des putschistes. Ou alors, leur donner des ailes, à tout jamais. Dans le procès sur l’assassinat de Thomas Sankara, les avocats de la défense prennent prétexte de la prestation de serment du président-putschiste Paul-Henri Damiba devant le Conseil constitutionnel, pour contester l’accusation d’atteinte à la sûreté de l’État. Comment comprendre qu’un tel coup de théâtre mette les magistrats autant dans l’embarras ? Il fallait s’y attendre. Dans l’euphorie générale, ce procès a été engagé un peu trop au mépris du contexte juridique et historique des faits. La règle, à l’époque, était les coups d’État. Les pays où l’on accédait au pouvoir par des élections démocratiques étaient de très rares exceptions. Sankara lui-même était parvenu au pouvoir à la faveur d’un coup d’État, perpétré contre un putschiste, qui avait lui-même déposé un autre putschiste, ainsi de suite. À la lumière de cette tradition bien établie de prise du pouvoir par la force, accuser Blaise Compaoré d’atteinte à la sûreté de l’État pour avoir renversé Sankara est juste une erreur. En droit, comme du point de vue historique. L’accusation aurait sans doute été mieux inspirée de poursuivre les prévenus uniquement pour assassinat, et encore ! Car, certains de ces coups d’État se soldaient par la mort, sinon du président, du moins de ses proches, comme autant de dégâts collatéraux. Il n’y aurait donc plus, dans ces conditions, matière à procès ! Tout au long des vingt-sept années de pouvoir de Blaise Compaoré, l’assassinat de Thomas Sankara était passée par pertes et profits. Pour que le nom de Sankara cesse d’être tabou dans les médias d’État, et que les Burkinabè commencent à le célébrer ouvertement comme l’icône de la jeunesse africaine qu’il était depuis sa mort, il aura fallu attendre la chute de Blaise Compaoré. Et dans l’euphorie générale du désir national de justice pour le défunt leader charismatique, l’accusation a pu perdre de vue le fait que Sankara n’était pas un chef d’État élu. C’est en cela que l’atteinte à la sûreté de l’État, glissée dans les chefs d’accusation, fragilise le dossier. La défense aurait pu s’engouffrer dans cette brèche, dès le début du procès. La prestation de serment du lieutenant-colonel Damiba, comme une légalisation du putsch, leur a ouvert les yeux, d’autant plus que les coups d’État redeviennent la règle, en Afrique de l’Ouest. Au rythme auquel ils se généralisent, il est d'ailleurs à craindre que trois ou quatre autres pays ouest-africains y succombent, dans les prochains mois. Quels peuvent être ces pays, que guettent d’autres putschs ? Ils se reconnaîtront. Comme se reconnaîtront ceux qui n’ont rien à craindre. Du moins, tant qu’ils demeureront ce qu’ils sont depuis deux ou trois décennies. Certains s’étonnent que l’on précise que l’Afrique de l’Ouest francophone est tout particulièrement concernée par ces mœurs détestables. La généralisation du fléau est, en partie, imputable, collectivement, aux chefs d’État ouest-africains. Qui prennent acte avec une déconcertante régularité du fait accompli. Se contentant d’inviter, avec promptitude, les putschistes à vite régulariser leur situation, avant d’aligner des exigences supposées conférer aux putschistes une apparence de légalité. Rien, dans leurs actions, n’est vraiment dissuasif. Et c’est en voyant leur président-putschiste recevoir l’absolution du Conseil constitutionnel que les avocats des compagnons de Blaise Compaoré ont réalisé que leurs clients n’avaient rien fait d’illégal, en 1987. Et peu importe, si les juges constitutionnels, depuis déjà bien longtemps, ont fait leur deuil de toute crédibilité, de toute dignité.
Ce qui se passe dans ce pays lointain intéresse l'Afrique et les Africains, qui savent ce que peuvent être les frustrations d'un peuple subissant la loi de plus fort que lui. Les affinités du moment ne changent rien à cette triste réalité. La résolution soumise, hier vendredi, au Conseil de sécurité des Nations unies s’est heurtée au veto de la Russie. La Chine, l’Inde et les Emirats Arabes Unis se sont abstenus, après avoir tout de même obtenu le remplacement du verbe « condamner » par « déplorer », pour ne pas s’opposer. Pourquoi dites-vous que cette concession, qui révulse les Ukrainiens, devrait aussi révulser les Africains ? Parce que les bombardements de l’armée russe, que le Conseil de sécurité n’a pas osé condamner, se poursuivent. Ce que vit le peuple ukrainien, sous nos yeux, n’est pas déplorable, mais bel et bien condamnable. Pour aucune raison, les Africains ne devraient se réjouir des exploits de la Russie de Vladimir Poutine en Ukraine. Même s’il commence à acquérir une certaine popularité en Afrique, pour les (mauvaises) raisons que l’on sait, ce qu’il fait vivre au peuple ukrainien serait insupportable pour tout peuple africain. L’homme africain est fondamentalement épris de liberté, du grand air, et pas de quelque forme insidieuse de totalitarisme. Comme les Ukrainiens aussi rêvent de liberté et d’amitiés qui les élèveraient. Il se trouve que les sanctions graduelles, à doses homéopathiques, de leurs amis occidentaux arrivent souvent trop tard, en-deçà des actes déjà posés par Poutine. Ne pouvant être rétroactivement dissuasives, elles se révèlent d’autant moins efficaces qu’aucune puissance amie n’est prête à voler à leur secours, au sol. Aussi, le dirigeant russe a t-il la certitude de parvenir à ses fins. En Afrique, certains se réjouissent, sans doute parce que la Russie semble avoir actuellement la cote, sur le continent… Un ami qui peut se comporter ainsi avec un voisin qui ne l’a ni attaqué ni provoqué peut, demain, attaquer n’importe lequel de tous ces Etats vulnérables d’Afrique, y compris pour un renversement d’alliance qui déplairait au Kremlin. Il n’y a pas d’ordre international qui tienne, lorsque triomphe la raison du plus fort. Et, ne serait-ce que de manière très égoïste, ceux qui se réjouissent devraient penser aux étudiants africains totalement désorientés, qui ne savent comment s’extirper d’Ukraine. Penser à ce commerçant guinéen installé à Odessa. Dans notre incurie, nous n’avons jamais imaginé qu’un Guinéen (ou un Africain de quelque autre nationalité) pouvait être installé comme commerçant à Odessa. Ce conflit change-t-il vraiment quelque chose aux relations internationales ? Il n’y a pas si longtemps, nous parlions, ici, de la nécessité, pour la Cédéao, de se saborder, au profit d’une organisation plus crédible, plus courageuse, qui n’intègrerait que des Etats réellement désireux de respecter les mêmes règles. Cette nécessité s’appliquerait de manière encore plus impérieuse à l’Organisation des Nations unies, littéralement prise en otage par les cinq membres permanents qui se sont attribués, en 1944, le droit de veto au Conseil de sécurité, avant même la création de l’Organisation. Une fois sur deux, certains en font un usage qui relève de la capacité de nuisance, parfois contre des résolutions utiles à l’humanité. Nicolas Sarkozy, l'ancien chef de l'Etat français, a eu raison d’affirmer, ce vendredi, à l’Elysée, qu’il fallait inventer les institutions multilatérales du XXIe siècle. Réformer l’Onu ne présente plus aucun intérêt. Elle devrait disparaître, au profit d’une organisation en phase avec les exigences du monde actuel, et en prise avec les réalités de demain. Après tout, la guerre froide s’est achevée non pas sur une victoire du capitalisme, mais sur l’écroulement du communisme. Mikhaïl Gorbatchev confiait, il y a peu, que l’Occident aurait dû tendre la main à son pays, pour bâtir un monde nouveau, au lieu de se comporter avec l’arrogance de celui qui a gagné la guerre. L’état d’esprit des plus jeunes de l’époque, les Poutine, qui ont bercé dans l’humiliation et une forme de mépris, devrait-il surprendre, aujourd'hui ? L’humiliation, souvent, engendre la haine et, comme dit le chansonnier, des rêves de revanche. Nous y voilà !
Vigoureusement défiée dans ce qui était autrefois son pré-carré en Afrique, la France doit aussi composer avec le désamour de plus en plus grand d'une partie de l'opinion. Si Paris veut éviter une perte irréversible d'influence dans ses anciennes colonies, il lui faudra gérer avec doigté la fronde actuelle. Au chronogramme annoncé par Paris pour le retrait de ses troupes du Mali, la junte de Bamako répond par une injonction à vider les lieux immédiatement, la junte se promettant de superviser l’état des lieux. Ce à quoi Emmanuel Macron rétorque que ce départ se fera en bon ordre, dans le respect de la sécurité des militaires. Pourquoi donc cette rupture ne peut-elle se faire dans le calme, en bonne intelligence ? Sans doute parce que ces accrochages verbaux entre les deux capitales sont devenus un fonds de commerce qui sert sûrement la popularité de quelques-uns. Ce retrait était annoncé, attendu. Et l’on aurait cru que ceux qui parlent au nom de la junte se contenteraient d’un tonitruant : « bon débarras ! ». Mais, ç’aurait été trop simple. Le communiqué de la junte laisse la désagréable impression qu’il faut à tout prix désigner un coupable, qui aurait violé ses engagements. Comme pour instaurer une tension supplémentaire, susceptible de dégénérer à la moindre petite étincelle. Cela devient épuisant de voir ceux qui ont un Etat à diriger, et des devoirs vis-à-vis de leurs peuples, regarder le doigt, pendant que le sage montre la lune. En politique, la popularité auprès de son peuple est toujours plus saine et plus durable, lorsqu’elle se fonde sur l’adhésion à une vision, incarnée par un leader, plutôt que sur la détestation d’un ennemi extérieur opportunément trouvé. Les Français, mal-aimés, veulent partir. Cela ne peut-il pas se comprendre ? Justement ! Laissez-les s’en aller, et occupez-vous de votre peuple ! A quoi servent des injonctions adressées à quelqu’un qui vous ignore, et qui fera comme il a prévu, en évitant de faciliter la tâche à vos véritables ennemis, les djihadistes ? Les dirigeants maliens peuvent donc oublier un peu les Français, pour montrer à leur peuple en détresse, qu’ils ont mieux à lui offrir que des slogans et des communiqués enflammés. Ce serait un cuisant échec, pour cette junte, de transformer le peuple malien en paria des nations ouest-africaines. Echec, vous l’avez dit. Tout le monde parle d’échec… Et chacun se plaît à l’accoler à la partie adverse, puisqu’il faut bien parler d’adversité. C’est un immense échec, dont chaque partie devrait prendre sa part, d’autant que les conséquences sont devant nous, et pas derrière. La France, défiée dans son pré-carré, y laisse une part de son prestige, car cette histoire est l’illustration de ce que Dominique de Villepin, dans une de ses fulgurances, a, ces derniers temps, qualifié de « désinfluence ». De fait, dans la plupart des ex-colonies françaises d’Afrique occidentale et d’Afrique centrale, les banques françaises qui tenaient le haut du pavé sont à la traîne, lorsqu’elles n’ont pas tout simplement disparu. Les milieux d’affaires, dans ces pays, vont s’équiper, s’approvisionner en Chine, en Turquie, à Dubaï, et presque plus à Paris. Le cœur n’y est plus. Ils vont même, pour se soigner, en Turquie, ou en Tunisie. La France perd pied dans cette Afrique qui lui a longtemps permis de tenir son rang dans le monde. S’il est exagéré de parler de sentiment anti-français, laisser croire que l’opinion africaine, aujourd’hui, déborde d’amour pour la France peut difficilement s’entendre. La France a vécu avec l’Afrique des relations monopolistiques. En économie comme en amour, les monopoles, à force de durer, finissent par créer un confort de peu d’effort chez celui qui en bénéficie, et une forme plus ou moins ouverte de défiance, chez celui qui les subit. Voilà pourquoi toutes les tentatives d’Emmanuel Macron pour conquérir les nouvelles générations se heurtent si souvent au plafond de verre qu’est le passif accumulé, et dont quelques survivances viennent encore, de temps à autre, polluer toute avancée.
Avec la victoire des « Lions » à la Coupe d’Afrique des nations, le Sénégal a pu montrer à une Afrique de l'Ouest quelque peu désemparée, à quoi peut ressembler une nation unie et rayonnante de bonheur. Pour célébrer les Lions, de retour du Cameroun avec le premier trophée continental de l’histoire de leur football, les Sénégalais sont sortis, par millions, en début de semaine, offrant un impressionnant spectacle de liesse populaire et de concorde. Comment expliquer une telle mobilisation, une telle ferveur autour des Lions et pour le football ? On ne s’imagine pas à quel point cela fait du bien, à tous les peuples africains, de voir, sur ce continent si souvent consigné au pied du mur des lamentations, une nation simplement heureuse. Un bonheur palpable, communicatif, et d’autant plus plaisant à contempler qu’il ne pouvait être feint. Et l’on a presque envie d’aller questionner les plus anciens, pour trancher si ce jour déclasse, ou pas, celui de la proclamation de l’indépendance. Par millions, ils sont sortis accueillir les Lions, leurs héros, fiers d’être le ciment d’une cohésion nationale parfois chahutée, ces derniers temps. Mais, même si ce n’était que le temps d’une célébration, cette cohésion était belle à voir, trop belle pour ne pas être applaudie. Seul le football pouvait valoir au peuple sénégalais un tel retour à l’essentiel. D’autant plus que le football aussi est essentiel, dans la vie de nombreuses nations africaines. Le sport-roi, soit ! Mais en quoi serait-ce essentiel ? Parce qu’il contribue à la bonne santé de la jeunesse qui le pratique, souvent avec des infrastructures rudimentaires. Il suffit parfois de deux morceaux de pierre, pour matérialiser les buts, et un ballon de fortune peut suffire. Mais le football est aussi une industrie, qui tient sa part dans l’économie nationale. C’est enfin une réalité sociale, qui enchante les rêves des jeunes, qui n’ont parfois aucune autre issue, pour réussir dans la vie. D’ici dix à quinze ans, vous verrez éclore au Sénégal, de jeunes footballeurs de talent, qui se seront engagés dans la pépinière de ce sport, immédiatement dans les jours, les semaines ou les mois qui suivent l’accueil grandiose que vient de réserver le peuple à ses héros. C’est aussi ainsi, dans une saine émulation dans l’excellence, que se construit l’avenir d’une nation. Enfin, l’équipe nationale. Elle est le creuset dans lequel se fondent facilement les différences insurmontables. Elle recueille les meilleurs, sans que n’interviennent les considérations régionales, ethniques et autres, qui polluent tant le reste la vie d’une nation. Lorsque vous êtes vraiment bon sur le terrain, le public le sait et aucun arrangement d’arrière-salle ne pourra vous priver de votre poste de titulaire. Si seulement chacun, dans la société, s’appliquait, comme au football, à être le meilleur à son poste, le plus compétent dans son domaine, sûrement que les nations africaines avanceraient mieux et plus vite. Vous conviendrez que l’encadrement aussi est essentiel dans l’épanouissement et les résultats d’une sélection nationale… Vous avez parfaitement compris. Macky Sall, le chef de l’État sénégalais, aussi, qui a donné aux Lions les moyens de se présenter à la Can sans ce complexe de l’indigence, si caractéristique de nombreuses et même grandes équipes africaines. Parfois ce sont des dirigeants indignes qui, en ponctionnant les dotations de l’équipe et les primes des joueurs, discréditent le drapeau national, avant même que ne débute la compétition. Dans leur campagne victorieuse, les Lions ont échappé à tous ces écueils. Le reste résulte de la patience d’un Etat qui a su faire confiance, dans la durée, à un de ses fils. Une nouvelle preuve que les pays qui avancent, sur ce continent, sont, de plus en plus, ceux où la nation sait faire confiance à ses propres citoyens, et traite l’expertise nationale avec les mêmes égards que ce qu’elle accorde aux expatriés.
De la Haute-Volta au Burkina, ce pays, en soixante-et-un ans d'indépendance, a été dirigé par les militaires pendant… quarante-sept ans ! Avec les résultats mitigés que tous déplorent. Et qui semblent laisser de marbre ceux des Burkinabè qui n'en finissent pas de chanter les louanges des militaires qui ont renversé, le 24 janvier 2022, le président Roch Marc Christian Kaboré. Suspendre le Burkina des instances de la Cédéao semble être une décision plutôt modérée, généralement interprétée comme le signe d’une volonté de conciliation, qui tient compte de l’accueil quelque peu enthousiaste des populations à l’égard des putschistes. Faut-il s’attendre à ce que ces concessions à l’opinion valent aux chefs d’État ouest-africains un peu d’indulgence de la part de leurs peuples ? Si les coups d’État sont contraires aux bonnes mœurs démocratiques – et ils le sont – alors, il ne faut pas les accepter, même du bout des lèvres. Le Nigeria a déjà eu à faire échec à un coup d’État en Sierra Leone, et le Sénégal, en Gambie. Et l’on attend de savoir de quelle expertise se prévalent les militaires pour s’estimer plus qualifiés, pour diriger leur pays, que les médecins, les enseignants et tant d’autres professions utiles. Les putschistes justifient leur coup par ce qu’ils considèrent comme des défaillances de leadership d’un chef d’État élu. À ce prix, nombre de chefs d’État, de par le monde, perdraient le pouvoir au bout de deux ans. Aux États-Unis, en France, au Japon... La meilleure façon de priver les putschistes de leurs alibis est d’éviter de tricher avec la Constitution et les institutions, qui devraient suffire à indiquer à chacun les limites de son pouvoir. À condition, évidemment, que les hommes qui incarnent ces institutions n’aient pas cette fâcheuse tendance, africaine, à la révérence vis-à-vis de tout président en place. Sur le continent, curieusement, jamais l’on ne parle de coup d’État là où les contre-pouvoirs fonctionnent bien, et ne sont pas réduits à une certaine servilité. Regardez donc comment, en Grande-Bretagne, pour une faute qui passerait pour un péché véniel dans bien des pays africains, le Premier ministre Boris Johnson est en train d’être contraint à la démission par les institutions ! À part la destitution, en 1996, du professeur Albert Zafy, à Madagascar, le chef d’État, dès lors qu’il est élu, devient, dans la plupart des pays, d’autant plus intouchable que les institutions s’aplatissent devant lui, sans même qu’il ait à stimuler leur zèle. La meilleure protection contre les coups d’État reste la force des institutions, surtout celles qui gênent parfois. Les arguments qu’avancent les militaires seraient donc fondés ? D’un pays à l’autre, le discours des putschistes reste quelque peu stéréotypé. Peut-être les problèmes sont-ils les mêmes. Le métier du militaire est de défendre la patrie, lorsqu’elle est en danger. Ils se plaignent de ne pas disposer de suffisamment de moyens. Dans l’armée américaine aussi, on se plaint de l’insuffisance des moyens. Les médecins, les enseignants aussi se plaignent de manquer de moyens. Et pourtant, ils soignent, guérissent, dispensent le savoir, sans réclamer que le chef de l’État leur remette sa démission. Sauf que les militaires ont les armes !… Nous y voilà ! C’est leur outil de travail, qu’ils jugent insuffisant, pour vaincre l’ennemi, mais si efficace, pour déloger un chef d’État du pouvoir. La plupart des peuples ont déjà donné ! En une soixantaine d’années d’indépendance, nombre de pays africains ont été dirigés, en moyenne, plus de trente ans par les militaires, sans apporter, partout, la prospérité, la liberté, la démocratie, ou simplement la protection aux populations. Le Burkina, en soixante-et-un ans d’indépendance, a été sous le joug des militaires pendant au moins quarante-sept ans ! Depuis 1960, en dehors des intérimaires, il a connu cinq présidents militaires, contre… deux civils ! Il ne faut pas que les condamnations venues de l’extérieur deviennent une diversion, pour oublier de se concentrer sur le génie par lequel les militaires, si loin du front, entendent faire merveille, au palais présidentiel. C’est si facile de s’emparer du pouvoir, avant de commencer à réfléchir, ou d'improviser sur ce que l’on entend en faire.
IBK aurait fait un excellent président au Cap-Vert ou au Botswana. Comprenez que les mœurs politiques, dans son pays, correspondent peu aux qualités que tous lui reconnaissent, à présent qu'il a tiré sa révérence. En août 2020, les Maliens étaient dans la rue, pour demander sa démission, et finiront par l’obtenir. Dix-huit mois plus tard, les voilà qui rivalisent de superlatifs dithyrambiques, pour vanter sa stature d’homme d’Etat et saluer sa mémoire. Ces hommages élogieux sont-ils crédibles ? Ou bien faut-il mettre ces revirements sur le simple fait que Ibrahim Boubacar Keïta n’est plus ? Ces hommages se fondent sur des faits bien trop précis et suffisamment concrets, pour que l’on ne puisse pas mettre en doute leur sincérité. Ils sont crédibles, et ces qualités, IBK les avait, avant, pendant et après le coup d’Etat. Les récriminations de ses concitoyens qui manifestaient pour le chasser du pouvoir se rapportaient à des faits souvent imputables à d’autres que lui. Sa véritable faiblesse était sa bonté. Il se séparait des corrompus, mais un peu tard et sans les punir. Le pire est que nombre d’auteurs des indélicatesses reprochées à sa gestion sont allés grossir ensuite les rangs du mouvement qui a travaillé à sa chute. Dans l’édition spéciale consacrée, lundi, au défunt président, Clément Dembélé a parlé de « corruption à ciel ouvert », sous IBK. Sauf que tous les témoignages concordent sur le fait qu’il n’était pas du tout attaché aux choses matérielles. Par contre, le Dr Ibrahima Traoré, qui fût son directeur de cabinet, a révélé, dans l’entretien accordé, hier matin, à Christophe Boisbouvier, sur RFI, qu’il faisait tellement confiance aux collaborateurs qu’il ne voulait pas croire, lorsque l’on attirait son attention sur leurs indélicatesses. « Il pensait, a dit le docteur Ibrahima Traoré, que tout le monde était forgé à son image ». Pourquoi, alors, ces soupçons de corruption, qui ont tant altéré son image d’homme d’Etat ? Parce que « l’homme bon » n’a pas su réprimer les corrompus. Peut-être aurait-il donné l’impression de combattre la corruption, à défaut de l’éradiquer, s’il avait seulement sévi, de temps à autre. A la faveur du double coup d’Etat, certains de ces kleptomanes se sont recyclés et gouvernent à visage plus ou moins découvert, dans la transition actuelle. Il fallait suivre le regard de l’ancien Premier ministre Moussa Mara, lorsque, dans l’édition spéciale, il a affirmé que la question de la corruption est un serpent de mer, qui remonte à l’indépendance, et que, même sous la transition actuelle, l’on en parle, sans vraiment lutter contre… Mahamadou Issoufou, l’ancien président du Niger, lui, a insisté sur le fait que IBK était un homme cultivé Oui ! Et cela fait du bien, en Afrique, de voir un homme cultivé à la tête d’un Etat. Parce qu’il y a des choses qu’un homme cultivé ne fait pas. Dans l’édition spéciale, un des intervenants, qui reconnaît avoir participé à sa chute, a témoigné que jamais IBK n’avait fait interdire leurs manifestations, ni leurs interventions à la radio ou à la télévision. Le docteur Ibrahima Traoré, qui le décrit comme « un homme bon, honnête, patriote, républicain, qui aimait le genre humain », a révélé que IBK était abattu, lorsqu’on lui a rapporté que des personnes avaient été tuées, lors d’une des dernières manifestations, peu avant sa chute. Aussi, lorsque la dégradation de la situation s’est accélérée, le démocrate cultivé n’a simplement plus voulu du pouvoir. Il aurait accepté sa chute, en exprimant le vœu que cela apporte la paix au Mali… Un confrère qui le connaissait bien dit que IBK aurait fait un excellent président au Cap Vert ou au Botswana. Mais, comme dirait le chansonnier, même la fine fleur des démocrates cultivés ne peut, hélas ! choisir son pays, ou sa famille.
Et si la popularité apparente du colonel Assimi Goïta se nourrissait des tensions et autres rivalités fréquentes avec Paris ? Le taciturne chef de la junte malienne se forge, sans mot dire, une image de résistant. Les slogans à sa gloire succèdent aux attaques en règle contre la France. Lors des manifestations organisées en réaction aux sanctions prises contre le Mali, la foule n’a cessé d’acclamer le nom du colonel Assimi Goïta. Certains intervenants l’ont même comparé à Thomas Sankara. Comment expliquer que la popularité du chef de la junte malienne va grandissante, au fur et à mesure que tombent les sanctions, ou que la communauté internationale s’emploie à démolir son action ? En politique, les pressions insistantes et les sanctions intempestives peuvent parfois aboutir à des effets pervers, à l’opposé des objectifs poursuivis. C’est un peu ce à quoi l’on assiste, au Mali. Le recours aux mercenaires est ce qu’il y a de plus désastreux, pour un État, quel qu’il soit. Mais, parce que c’est la France qui s’opposait à ce choix, une partie de la population malienne en est venue à considérer que si cela gêne la France, c’est donc une bonne chose pour le Mali. Vous avez vu à quelle vitesse les sanctions décidées par la Cédéao ont été présentées comme la conséquence d’une instrumentalisation des États ouest-africains par certaines puissances extérieures, en l’occurrence la France ! L’enjeu, pour Paris, est de prendre garde à ne pas se muer en allié objectif de la junte malienne. Chaque fois que la France s’élèvera contre une orientation prise par Bamako, une partie du peuple malien en déduira que c’est parce que ces dirigeants agissent pour le bien de leur pays. Peut-être est-il temps, pour Paris, de laisser Assimi Goïta face à son peuple, qui le jugera sur ce qu’il fait, et non plus sur les apparences de rivalités avec l’ancienne puissance colonisatrice. Il reste que ces sanctions auront des conséquences pour d’autres États ouest-africains. Oui, et c’est d’autant moins anodin que les importations et les exportations maliennes représentent le quart, sinon le tiers des activités de certains ports du golfe de Guinée. Plus largement, le poids des commerçants maliens est considérable, dans le chiffre d’affaires de certaines économies ouest-africaines, déjà affaiblies par les conséquences de la pandémie. Aucune aide extérieure ne pourra compenser un tel manque à gagner. Certains aspects de ces sanctions laissent cependant perplexes. Les textes qui régissent ces institutions autorisent-ils ce qui, vu de loin, donne l’air d’être une confiscation de fonds appartenant au peuple malien ? Par ailleurs, n’était-ce pas une maladresse, pour l’UEMOA, que de s’être invitée en terre ghanéenne pour décider de sanctions aussi importantes, surtout lorsque l’on connaît les réticences des anglophones par rapport à la Zone franc ? La manifestation contre les sanctions est devenue un meeting de soutien à Assimi Goïta, magnifié par le Premier ministre, paraît-il. Choguel Maïga est arrivé en tenue militaire et, d’emblée, a annoncé que le destin de l’Afrique se jouait, à l’instant, au Mali. Et d’égrener les soutiens qui leur arrivaient de partout… de toute l’Afrique, et de bien au-delà. Il a alors chanté les louanges d’Assimi Goïta, avec une ferveur telle que nul n’oserait questionner la sincérité de tant de révérence. « Nous n’avons peur que de Dieu et du peuple malien »… Fort heureusement, conclut-il, « Dieu et le peuple sont avec le gouvernement de transition ». Devant cette foule surexcitée, Place de l’Indépendance, les orateurs se succédaient, pour faire acclamer le nom du président-refondateur Assimi Goïta, que certains ont cité dans la lignée des héros de l’histoire millénaire du Mali, tels Sonni Ali Ber, ou l’Almamy Samory Touré. Où l’on apprend, pêle-mêle, qu’il n’y a plus de transition, que le pays est entré en Résistance, et même déjà dans une révolution, dans une refondation. « Peuple invincible. Peuple très intelligent ! Aujourd’hui, nous sommes 20 millions de militaires ! », clamera le Premier ministre. Difficile de distinguer le griot servile du partisan convaincu.