Journaliste, traducteur, écrivain, l’Algérois Salah Badis livre avec un premier recueil de nouvelles, subtil et impressionniste. Traduit de l’arabe, le volume brosse dans un langage poétique et un sens consommé de détails, le portrait d’une société algérienne sclérosée, peuplée d’hommes et de femmes confrontés aux contradictions de leur pays. Le recueil est publié dans la nouvelle collection « Khamsa » dédiée aux fictions arabophones du Maghreb. « »Ainsi parle Salah Badis, jeune écrivain arabophone d’Algérie. Traducteur de Joseph Andras et d’Éric Vuillard, ce trentenaire s’est fait connaître en 2016 en publiant un recueil de poésies très remarqué. La critique avait souligné à l’époque son écriture atypique et sa sensibilité éminemment moderniste. Le titre de son recueil, plutôt insolite, , lui aurait été inspiré par un certain Gustave Flaubert. « "kharaj-al-bawakhir"explique Salah Badis"lassitude des paquebots"L’Éducation sentimentale"mélancolie des paquebots" » Le nouvel ouvrage que l’écrivain a fait paraître récemment en traduction française vient confirmer sa réputation de prosateur moderniste. Paru dans la collection « Khamsa » lancée par un collectif d’éditeurs français et algérien, est un recueil de nouvelles. Composé de neuf textes liés par leur unité de lieu et de temps, soit l’Algérie des années 1980 jusqu’à la fin de la décennie 2010, le volume témoigne de la maturité narrative de son jeune auteur, qui donne à voir, à travers les heurs et malheurs de ses personnages, une société bloquée et, en même temps, des échappées, des lignes de fuite dans le blocage ouvrant le monde « », comme le dit un de ses protagonistes. KAHINA, AMIN, MARIA ET LES AUTRES Les nouvelles de Salah Badis racontent des tranches de vie, heureuses, douloureuses, voire parfois dramatiques. Ils et elles s’appellent Kahina, Amin, Maria, Imen, Majdid, Madame Djouzi, Selma… Ce sont des hommes et des femmes ordinaires, au regard triste, pris en tenaille entre le quotidien et les dynamiques lourdes de leur société en construction, où perdurent encore les souvenirs de la domination étrangère. Le mal-être des protagonistes de Badis est symbolisé par leurs quêtes irréalisables et leurs pulsions brutales. Selma rêve d’un balcon avec vue, « ». En butte aux contraintes sociales et professionnelles insupportables, Nisrine, au sortir d’une soirée trop arrosée, tente de gravir la grille métallique pour se jeter du haut de l’immeuble-pont qu’elle a repéré dans la nuit algéroise, qui refuse d’être adulte. Le désir n’est pas loin, ni l’Histoire, ainsi qu’on le constate dans le récit d’un éditeur descendant au pas de courses un escalier en colimaçon, pour fuir les ninjas lâchés par le pouvoir harcelé par les terroristes. « », s’entend dire le protagoniste. Il n’y a pas vraiment d’intrigues dans la poignée de textes que regroupe le recueil de nouvelles de Salah Badis, il y a seulement des ambiances. Des ambiances lourdes de malaises et d’interrogations. Les récits ici sont construits autour des micro-événements tels que des rencontres imprévues, des filles qui se prennent en photo devant le bleu de la mer, une location qui se termine abruptement. Ils ont pour cadre une grande ville, Alger plus précisément. « précise l’auteur"vies minuscules" » UNE DOUBLE TRADITION LITTÉRAIRE Né en 1994, Salah Badis a grandi à Alger. Il appartient à la nouvelle génération d’écrivains algériens qui ont appris l’arabe à l’école et écrivent en arabe, sans oublier « », comme l’aime rappeler l’éditeur algérien Sofiane Hadjaj. Aussi, puisent-ils leur créativité dans la double tradition littéraire de leur pays, comme le raconte Salah Badis. « » Ainsi, c’est une œuvre entre deux rives que nous propose Salah Badis. L’homme se définit comme « », négociant constamment comme il aime à le rappeler entre « » du journalisme qu’il pratique et la langue « » du littéraire qu’il est dans l’âme. Une générosité qui lui permet de saisir son monde avec empathie, à hauteur d’homme. Il en a fait la marque de fabrique de ses récits algérois et autres récits à venir dont les personnages se déterminent autant par ce qu’ils sont et ce qu’ils font, que par le manque ou la chaleur que leurs voix véhiculent. « soutient BadisNedjma » Salah Badis, gribouillez ce nom quelque part dans votre tête ou sur le mur de votre bibliothèque. Vous en entendrez parler. , par Salah Badis. Traduit de l’arabe par Lotfi Nia. Editions Philippe Rey et Barzakh. 153 pages, 19 euros.
Paru en 2020 en Angleterre et disponible depuis peu en traduction française, est le dernier volet de la trilogie romanesque de la Zimbabwéenne Tsitsi Dangarembga. Tambudzai, protagoniste de la trilogie, avait autrefois de grands rêves, mais elle est rattrapée aujourd’hui par la réalité du Zimbabwe postcolonial où se déroule l’action du nouveau roman. Gagnée par l’amertume et la frustration, elle voit ses rêves s’effilocher au fil des crises qui frappent son pays. Elle tente de survivre au jour le jour. « » Ainsi s’ouvre , le dernier volet de la trilogie sous la plume de la Zimbabwéenne Tsitsi Dangaremgba, qui vient de paraître en français, magnifiquement traduit par Nathalie Carré, grande spécialiste de littératures africaines. Avec ce nouveau roman, l'auteure renouvelle le récit des heurs et malheurs de Tambudzai, protagoniste de la trilogie. Difficile de ne pas être sensible au changement radical de ton dans ces pages, introduit par la narration à la deuxième personne du singulier qui remplace ici le récit à la première personne auquel et , les deux premiers volumes de cette série, nous avaient habitués. « » La vision limitée et conflictuelle qu’implique ce récit à la deuxième personne correspond à la distance prise par le narrateur par rapport à l’évolution de son héroïne. Celle-ci n’est d’ailleurs plus la Tambudzai, bouillonnante d’espoirs, de révoltes, de volontarismes, que les lecteurs avaient découverte dans les premiers volumes de la trilogie. « », confie l’auteure. L’action de ce nouveau roman se déroule dans les années 1980-1990, dans le Zimbabwe indépendant, où la promesse de faire advenir une « aube nouvelle » est vite abandonnée par la classe politique corrompue et cynique, désormais aux manettes. Pour les lecteurs francophones, cette situation fait écho aux œuvres des Amadou Kourouma, des Sony Labou Tansi, des Mongo Beti, racontant à longueur des pages les « villes cruelles » sur lesquelles « les soleils des indépendances » ont cessé de briller. La transformation de Tambudzai a lieu sur fond de dégradation des conditions économiques et sociales qui touchent de près la vie des populations. Son devenir est à la fois la conséquence et l’allégorie des changements que connaît son pays. « , rappelle l’auteure » Trentenaire, Tambudzai est confrontée au bilan désespérant de sa vie d’adulte, ponctuée d’échecs et de frustrations. Les lecteurs des précédents volumes de la série se souviennent du combat acharné livré par cette fille d’extraction paysanne afin de pouvoir faire des études et de s’arracher à sa condition de femme, de surcroît noire, dans une société patriarcale et colonisée. Or, malgré tous ses diplômes, Tambudzai se retrouve aujourd’hui sans emploi, sans revenus, sans perspective d'avenir. Elle s’interroge sur le sens de sa vie. « ». DESCENTE AUX ENFERS Ce roman est construit autour d’épisodes marquants de la vie de Tambudzai : sa démission de son poste de rédactrice dans une agence de publicité où elle a l’impression de ne pas être reconnue à sa juste valeur, son renvoi de l’auberge de la jeunesse parce qu’elle a dépassé l’âge limite réglementaire, son passage dans un hôpital psychiatrique à la suite d’un épisode de dépression nerveuse… Ces épisodes tracent la cartographie d’une véritable descente aux enfers du protagoniste. Celle-ci résiste, mais la survie au jour le jour à laquelle elle est réduite la plonge dans le désarroi profond. Une scène au début du roman illustre avec brio le désarroi du protagoniste. La scène se passe dans le terminus des minibus où Tambudzai attend son combi pour se rendre en ville. Elle y est témoin d’un quasi-viol sur la personne de Gertrude, une colocataire de la pension pour jeunes filles où les deux femmes habitent. Gertrude trébuche en essayant de monter dans un combi surchargé. Affalée par terre, la jeune femme, malmenée par la foule qui tente de lui arracher sa jupe, crie à l’aide. Au lieu de la secourir, Tambudzai, entraînée par l’excitation animale qui règne dans la rue, ramasse une pierre pour lapider la fille à son tour, avant de la laisser tomber. Ce qui est à l’œuvre dans cette scène et au-delà dans ce roman, c’est la lente désintégration du sujet, culminant par la trahison finale par le protagoniste lorsque celle-ci, sous prétexte de dévoiler les charmes d’une Afrique authentique, oblige les femmes de son village à danser les seins nus assouvissant la curiosité des touristes venus d’Europe. « soutient Tsitsi Dangaremgba » est un roman puissant et poignant sur l’Afrique, sur les plaies de la colonisation, et , sur la modernité postcoloniale, complexe et compromise. * par Tsitsi Dangarembga. Traduit de l’anglais par Nathalie Carré. Éditions Mémoire d’Encrier, 455 pages, 22 euros.
La Zimbabwéenne Tsitsi Dangaremgba est romancière, mais aussi dramaturge, cinéaste, militante féministe. Son œuvre, partagée entre le politique et l’intime, puise son inspiration dans les failles de la société zimbabwéenne, préférant montrer les corruptions à l’œuvre, attirant l’attention sur leurs impacts sur les êtres et les choses, plutôt qu’à simplement les critiquer. Son dernier roman Ce corps à pleurer, récemment traduit en français, renoue avec les thèmes de la discrimination sociale et des violences patriarcales qui ont fait le succès de son chef-d’œuvre « Nervous conditions », lauréat du Commonwealth Writer’s Prize. La Zimbabwéenne Tsitsi Dangaremgba s’est fait connaître en publiant en 1988 son premier roman qu’elle a imaginé et écrit alors qu’elle était encore étudiante à l’université du Zimbabwe. Considéré comme l’un des romans africains les plus importants sur le devenir africain au féminin, le livre raconte l’histoire de Tambudzai, jeune adolescente noire élevée dans la pauvreté, et son combat pour aller à l’école et s’imposer comme femme et individu dans un pays aux fortes traditions patriarcales. Le rêve de l’adolescente devient réalité après la mort accidentelle de son frère sur lequel sa famille fondait tous ses espoirs. Personnage-narratrice du récit, Tambudzai se souvient qu’elle avait refusé de pleurer son frère défunt. Souffre-douleur de son frère, Tambu regrette d’autant moins la mort de celui-ci que cela va lui ouvrir la porte de l’école de la mission que fréquentait ce frère cadet. Petite fille déjà, elle était consciente des enjeux de cette disparition, comme elle l’a raconté dans le roman écrit à la première personne : « » Ces propos qui ouvrent le roman donnent le ton du récit, porté par une voix aussi puissante que sophistiquée, ce qui sans doute explique son succès. Le succès sera planétaire et il a conduit l’auteure à écrire une trilogie sur le sujet, dont le dernier volume vient de paraître en français. Il fait suite au en attente de traduction en français, qui met en scène la vie de l’héroïne dans le collège élitiste, sur fond de bruits et fureurs de la guerre de libération contre la colonisation. Avec le troisième volume de la trilogie, nous entrons de plain-pied dans l’ère postcoloniale et ses faux semblants, comme l’explique l’auteure TSITSI DANGAREMGBA :Ce corps à pleurer ». AUTOFICTION ? Selon les spécialistes, il y a une part autofictionnele dans les romans de Tsitsi Dangaremgba. Tout comme son personnage, l’auteure, née en 1959, a grandi dans une société coloniale. Ses parents étaient tous les deux instituteurs, mais c’est à sa mère, première femme noire zimbabwéenne à obtenir le bac qu’elle doit son goût pour les études et la littérature. « L’enfant noirBeloved » Transformer la douleur en espoir, c’est ce que fait Tsitsi Dangaremgba dans son œuvre, qui est à la fois romanesque et cinématographique. La légende veut que suite à la rédaction de son premier roman alors qu’elle était encore adolescente, la romancière a longtemps cru qu’elle n’aurait aucun avenir en littérature. Le manuscrit de n’avait pas trouvé de preneur au Zimbabwe, malgré son industrie éditoriale florissante. En désespoir de cause, Tsitsi avait adressé son manuscrit à Women’s Press à Londres. Celle-ci aussi a attendu plusieurs années avant de donner finalement une réponse favorable. Entretemps la Zimbabwéenne s’était tourné vers le cinéma, après avoir décroché une bourse pour faire une école de cinéma à Berlin. Première femme noire africaine à avoir tourné un long métrage, elle est aujourd’hui un nom prisé dans le Zollywood balbutiant et partage sa vie entre l’écriture et le cinéma. « » PORTE-PAROLE DES SANS VOIX Voguant entre la littérature et le cinéma, Tsitsi Dangaremgba est aussi une artiste engagée. Engagée socialement, mais aussi politiquement, même si elle n’est inscrite dans aucun parti politique. « , a-t-elle confié au micro de RFI ». Pour le pouvoir zimbabwéen, la notoriété dont l’écrivaine jouit à travers le monde fait d’elle une potentielle adversaire sur laquelle il compte garder un œil attentif, comme l’intéressée s’en est rendue compte lorsqu’elle a manifesté à Harare il y a quelques années pour attirer l’attention contre les graves dysfonctionnements sociaux au Zimbabwe. « » Comment à travers les aventures de son héroïne, la romancière parvient à évoquer les violences dont les femmes et les plus faibles sont victimes dans le Zimbabwe postcolonial, c’est ce que nous verrons la semaine prochaine dans la seconde partie de cette chronique consacrée au . Il faudra s’attarder aussi sur le thème, omniprésent dans le roman, de la « névrose des peuples assujettis », emprunté à Sartre , à l’origine de l’inoubliable titre anglais du premier volume de la trilogie de Dangaremgba : « ». , par Tsitsi Dangaremgba. Traduit de l’anglais par Etienne Galle. Albin Michel, 1992, 266 pages. , par Tsitsi Dangaremgba. Traduit pas Nathalie Carré. Mémoire d’encrier, 2023, 455 pages, 22 euros.
Conscience politique et connaissance de soi sont les deux principaux thèmes des , un roman en langue swahili qui vient d’être traduit en français. Son auteur Adam Shafi Adam, originaire du Zanzibar en Tanzanie, est l’une des grandes voix des lettres swahili. « » Ainsi commence , le nouveau roman traduit en français de l’écrivain tanzanien de langue swahili Adam Shafi Adam. Ce dernier n’est pas totalement inconnu du public francophone qui avait pu lire dès les années 1980 un premier roman sous sa plume, avec pour titre . Considéré comme l’un des textes fondateurs de la littérature moderne swahili, ce roman racontait la révolution de janvier 1964 qui marqua la fin définitive du régime féodal à Zanzibar. s’inscrivent dans la même veine politique et historique, si caractéristique de la fiction d’Adam Shafi Adam, si l’on croit sa traductrice. Aurélie Journo : « » LANGUE NATIONALE Né en 1940 à Zanzibar, archipel aujourd’hui rattaché à la Tanzanie, Adam Shafi Adam est l’une des voix majeures des lettres swahili contemporaines. Issu du métissage de l’arabe et les langues bantoues parlées sur les côtes de l’océan Indien, le swahili possède une tradition littéraire ancienne et a vu éclore, depuis le XIXe siècle, une littérature moderne, partagée entre poésie, fiction, théâtre et récits autobiographiques. Au XXe siècle, la Tanzanie, avec la proclamation du swahili comme langue nationale, a été le creuset d’une production littéraire aussi foisonnante que diversifiée. Grand roman d’amour, de fuite et d’apprentissage, évoque les années 1950-60, lorsque la Tanzanie livrait une lutte acharnée au colonisateur britannique, aspirant à retrouver rapidement son indépendance. Le héros du roman, Denge, jeune intellectuel formé en Russie communiste, est engagé corps et âme dans cette lutte anti-coloniale. Or, l’« indocilité » que dépeint Adam Shafi Adam dans son roman n’est pas seulement politique, elle est aussi et peut-être surtout sociale. Le récit est raconté ici du point de vue de Yasmin, jeune femme indienne vivant au ban de sa communauté, et de son amie Mwajuma, femme swahili au grand cœur. Celle-ci n’a pas hésité à accueillir sa voisine indienne dans son minuscule taudis situé au cœur du quartier populaire de N’Gambo, lorsque Yasmin s’est enfuie de chez son mari commerçant, deux fois plus âgé qu’elle. Les deux femmes sont désormais inséparables, avec Mwajuma initiant son amie aux plaisirs de la vie swahili, notamment au taarab, ces spectacles participatifs, au carrefour du théâtre et de la musique, qui dominent la vie culturelle à Zanzibar. C’est d’ailleurs chez Mwajuma que Yasmin fait la connaissance de Denge, dont elle tombera éperdument amoureuse, mais leur amour se révèlera impossible, car la vie de Denge est régie par les impératifs de la cause politique. Son engagement lui vaudra emprisonnements, tortures et exils, l’éloignant à tout jamais de son amante. Le roman raconte comment, laissées à elles-mêmes, les deux femmes devront trouver leur chemin vers le bonheur et la réalisation de soi. Elles se révèlent être deux femmes puissantes qui s’arrachent aux règles de leurs communautés respectives afin de vivre pleinement leur liberté d’initiative et d’action. « », explique la traductrice Aurélie Journo. Et de poursuivre :« » MILITANT ET JOUISSIF « '' soutient la traductrice, ». On est loin ici du récit naïf aux airs de conte de fées comme dans C’est un roman social à la Zola, un récit à la fois militant et jouissif. Toutefois, la véritable originalité de ce récit, campé au carrefour du social et du politique, est peut-être à chercher dans sa narration où se mêlent inextricablement l’idéal de la libération collective et la quête de l’émancipation personnelle incarnée dans le roman par les protagonistes féminins, Yasmin et Mwajuma. « », acquiesce Aurélie Journo. Et de poursuivre : « » Cette intelligence narrative, à laquelle fait référence la traductrice, est pour beaucoup de connaisseurs des lettres swahili, la principale marque de fabrique de l’œuvre d’Adam Safi Adam, le maître-conteur de Zanzibar. , par Adam Shafi Adam. Traduit du swahili par Aurélie Journo. Editions Project’îles, 376 pages, 17 euros.
est le titre français des souvenirs d’enfance du romancier et dramaturge Ngugi wa Thiong’o. Octogénaire, l’écrivain restitue dans ce premier volume de ses l’atmosphère oppressante du Kenya colonial où il a grandi et qui a été le terreau nourricier de son engagement littéraire et militant. La naissance de sa vocation d'écrivain est le thème de cette deuxième partie de la chronique que Tirthankar Chanda consacre à ce géant des lettres africaines. (Rediffusion) « » Ainsi commence , le premier tome des mémoires romanesques de l’écrivain kényan NGUGI WA THIONG’O https://www.rfi.fr/fr/afrique/20220530-kenya-une-pièce-longtemps-interdite-de-ngugi-wa-thiong-o-de-nouveau-jouée-à-nairobi. Ce sont des mémoires très politiques aussi, comme l’illustre l’extrait cité. Ici, Eliot n’est pas seulement le nom d’un poète. Il est aussi celui d’un gouverneur britannique dont le mandat au début du siècle dernier reste associé dans les livres d’histoire du Kenya aux spoliations coloniales. Ce rapprochement du politique et du poétique est ce qui fait la singularité de toute l’œuvre littéraire du Kényan, considéré avec CHINUA ACHEBE https://www.rfi.fr/fr/afrique/20130329-litterature-chinua-achebe-nigeria-mort et Wole Soyinka comme l’un des pères fondateurs et fondamentaux de l’anglophonie africaine. Ngugi n’est pas seulement un romancier, mais aussi dramaturge, essayiste, activiste. Son œuvre puissante et protéiforme lui a valu l’emprisonnement, l’exil, l’agression physique et verbale, ainsi que la reconnaissance mondiale, avec son nom régulièrement cité comme prix Nobel potentiel. L’homme, âgé aujourd’hui de 86 ans, se revendiquant de la pensée dissidente de Marx à Frantz Fanon, est l’exemple même de l’écrivain engagé. Cet engagement s’enracine dans l’enfance de Ngugi, le sujet du premier volume de ses mémoires. UN PACTE NON ÉCRIT Le récit commence à l’époque des grands-parents de l’auteur qui virent leur pays tomber dans l’escarcelle des Allemands, puis des Britanniques, à la suite du partage de l’Afrique par les puissances européennes à la fameuse Conférence de Berlin, en 1885. Quant au père de l’auteur, pour échapper à la conscription pendant la Première Guerre mondiale, il dut fuir le tohu-bohu du Nairobi naissant où il travaillait comme domestique dans une famille européenne, pour aller s’installer dans des zones plus rurales, au centre du pays. Né en 1938, « » au centre du Kenya, Ngugi a grandi à l’ombre oppressante de la colonisation britannique. L’exploitation, la spoliation, la répression des indépendantistes qui touchèrent l’entourage proche et familial de l’écrivain, constituent la texture même de ces https://www.rfi.fr/fr/podcasts/chemins-d-écriture/20220604-littérature-rêver-en-temps-de-guerre-avec-le-kényan-ngugi-wa-thiong-o-1-2. Se remémorant le petit garçon qu’il fut, Ngugi met en scène sa lente prise de conscience des injustices et des brutalités de la colonisation. C’est « », écrit l’auteur. Le protagoniste se rend compte de la misère de sa famille, de la domination coloniale et de l’impuissance des adultes. L’un de ses premiers souvenirs est lié aux champs de pyrèthres où sa famille l’envoyait participer à la cuillette. À l'âge de 8 ans, il doit gagner sa vie. L’école sera son salut. « , proclame Ngugi » Ngugi aime à raconter qu’il n’a jamais vraiment compris d’où venait la détermination dont sa mère analphabète faisait montre pour assurer une éducation digne de ce nom à ses enfants. Toujours est-il que c’est à son obstination et sa débrouillardise pour réunir l’argent nécessaire pour l’inscription et l’achat de l’uniforme exigée que le jeune Ngugi doit son admission à l’école. Dans l’une des scènes les plus poignantes du livre, l’écrivain évoque sa mère lui rappelant qu’ils étaient pauvres et qu’à l’école, il ne mangera peut-être pas tous les midis. L’adolescent qu’il était devait lui promettre, écrit Ngugi, qu’il n’allait pas lui faire « ». C’était un pacte non écrit entre mère et fils qui ne devait jamais être rompu. UN HAVRE DE PAIX Si l’univers « » de l’école apparaît dans le livre comme le contrepoint des turbulences que traverse le Kenya, confronté dans la période post-Seconde Guerre mondiale à un cycle sanglant de revendications indépendantistes et de répressions, l'école ne fut pas tout à fait un havre de paix. Ngugi raconte comment l’école kényane était devenue le champ de batailles idéologiques entre le courant assimilationniste représenté par les missionnaires et le mouvement indigéniste. La guerre faisait rage entre ces deux visions de l’Afrique. Alors que dans les écoles indépendantes fondées par des Kényans éclairés, les enseignants parlaient de l’Afrique comme le continent de l’homme noir, les missionnaires proches du pouvoir colonial enseignaient, eux, une version révisionniste de l’histoire africaine, célébrant l’arrivée des Européens qui auraient apporté paix, progrès et civilisation. Ils gommaient les conquêtes, les spoliations et la destruction en règle des cultures autochtones. Le paroxysme fut atteint avec la fermeture du célèbre qui formait les professeurs indigénistes. « , se souvient Ngugi, » Malgré l’acculturation que l’école a représenté pour l'élève Ngugi, le pacte que celui-ci avait conclu avec sa mère par une soirée d’hiver, ne fut jamais rompu. Il le fut d’autant moins que parallèlement aux traumatismes de la perte de sa culture, l’école permit à l’adolescent de découvrir sa future vocation d’écrivain, en l’initiant aux grands classiques de la littérature anglaise. de Charles Dickens et de Stevenson ainsi que d'autres livres emblématiques seront sa porte d’entrée dans le monde de l’imaginaire. Le garçonnet en avait pressenti obscurément l’existence dans sa tendre enfance, lors des veillées nocturnes dans la case de la co-épouse de sa mère. « explique Ngugi » se clôt sur le départ du protagoniste pour la prestigieuse où se déroulera la suite de sa scolarité. Assis dans le car qui le conduit à sa destination, l’adolescent ne perçoit pas encore, à travers la brume qui enveloppe le paysage matinal, la promesse de la somptueuse vie d’écriture qui l’attend. Mais, il n’oublie pas de rendre tribut à sa mère, en renouvelant dans la pensée leur pacte secret de « ». * , par Ngugi wa Thiong’o. Traduit de l’anglais par Jean-Pierre Orban et Annaëlle Richard. Collection « Pulsations », éditions Vents d’ailleurs, 258 pages, 22 euros.
Ancien enfant-soldat, le Sierra-Léonais Ishmaël Beah s’est fait connaître en publiant un récit autobiographique poignant sur la guerre civile, ses ténèbres et sa brutalité. Il est aussi l’auteur de deux romans : , paru en 2015 et qui vient de paraître en traduction française. «» Pour l’écrivain d’origine sierra-léonaise, ISHMAËL BEAH http://rfi.fr/fr/emission/20150412-ishmael-beah-auteur-sierra-leone, que nous venons d’entendre, l’écriture a été une école de liberté et de survie. Cet ancien enfant-soldat aime à répéter comment la pratique de la poésie des mots lui a permis de s’arracher aux traumatismes de la guerre. PUISSANCE D’ÉVOCATION Ishmaël Beah s’est fait connaître en février 2007 en publiant son récit autobiographique Le chemin parcouru dans lequel il raconte avec une puissance d’évocation rare ses années d’enfant-soldat sur fond de la terrible GUERRE CIVILE SIERRA-LÉONAISE https://rfi.fr/fr/afrique/20210323-trente-ans-après-la-guerre-civile-le-sierra-leone-panse-encore-ses-plaies. En 1991, quand la guerre a éclaté, l’adolescent avait tout juste 11 ans. Enrôlé de force dans l’armée gouvernementale, embrigadé, formé pour se venger des rebelles qui avaient abattu ses parents, il était devenu une machine à tuer sous l’emprise des drogues puissantes, des amphétamines et d’un lavage de cerveau particulièrement efficace. Son salut, Ishmaël Beah le doit aux équipes de l’Unicef qui l’ont arraché aux enfers de la guerre civile, avant de le confier à un centre de réhabilitation pour qu’il se reconstruise. Sa renaissance à la vie, son adoption par une Américaine, sa vie ensuite aux États-Unis où il a renoué avec l’adolescence, les études et la normalité, l’écrivain les a racontés dans son récit de témoignage qui a connu un succès mondial. L’ouvrage a été traduit en quarante langues et vendu à près d’un million d’exemplaires. Quadragénaire aujourd’hui, l’homme a mûri et a regagné son continent natal où il s’est installé avec femme et enfants. Il est aussi l’ambassadeur de l’Unicef et donne des conférences dans le monde entier pour attirer l’attention sur la cause des enfants victimes de la guerre. Il a surtout continué d’écrire, passant du témoignage à la fiction historique et sociale qui, explique-t-il, lui « », ajoute-t-il. Ishmaël Beah est aujourd’hui l’auteur de deux romans. Son deuxième roman, , est paru récemment en traduction française, aux éditions Albin Michel. UNE NATURE LUXURIANTE « … » Ainsi commence . L’extrait est représentatif de l’écriture à la fois poétique et précise d’Ishmaël Beah. Le passage fait partie du prologue qui est une invitation aux lecteurs à pénétrer dans l’univers préservé des protagonistes du roman, loin des bruits et la poussière des grandes villes. On est quelque part dans un pays d’Afrique jamais nommé, au cœur d’une nature luxuriante. Cette dernière est signifiée dans le récit par «» et « ». Le site n’en est pas moins marqué par la violence et la brutalité sociales que symbolise l’épave d’avion que l’auteur a imaginée pour servir de foyer à ses protagonistes. L’avion existe réellement, comme l’explique Ishmaël Beah : «» UN ROMAN DICKENSIEN L'intrigue du roman est construite autour de cinq garçons et filles qui ont élu domicile dans l’avion abandonné. Orphelins, ils ont tous été victimes des aléas de la vie, même si l’auteur a choisi de les définir par leur ici et maintenant plutôt que par leur histoire. Elimane, l’aîné du groupe, est un lecteur passionné de Shakespeare, qualifié de « » par ses camarades. Khoudiemata est révoltée et maternelle, Ndevuei et Kpinda sont bagarreurs et sportifs, et la très jeune Namsa, fraîchement débarquée, est fragile. Ensemble, ils ont créé une société alternative, quasi utopique, fondée sur une économie de subsistance et régie par les valeurs de la solidarité. Or, cet alter monde résistera-t-il aux assauts répétés de la grande ville dont le vacarme et la superficialité menacent son équilibre ? Telle est la question qui est au cœur du beau second roman d’Ishmaël Beah. Roman dickensien, frappe par la lucidité de sa critique de la société africaine inégalitaire où les plus vulnérables sont abandonnés à leur sort. Son économie de moyens, sa narration maîtrisée et son empathie pour les petites gens imposent son auteur comme l’héritier montant des Ngugi wa Thiong’o, des Nuruddin Farah, des Mongo Beti, maîtres incontestables du roman social africain. , par Ishmaël Beah. Traduit de l’anglais par Stéphane Roques. Albin Michel, 320 pages, 22,90 euros.
Entre essais, poésie et nouvelles, est un recueil de textes littéraires proposé par la promotion 2023 de l’atelier de l’écriture que parraine l’Institut français de Maurice. Rédigés sous le regard attentif et généreux de la romancière et journaliste Shenaz Patel, ces textes témoignent d’un véritable élan pour la littérature et du goût pour l’écriture parmi la jeune génération de Mauriciens. Ils s’appellent Cédric, Dhanistha, Romain, Léo, Mathilde, Enzo, Izza, Sunny, Chole et Yann. Un groupe hétéroclite de onze filles et garçons, entre 16 et 19 ans. Ils sont les auteurs des vingt-deux textes qui composent le recueil , né des travaux de la promotion 2023 de l’atelier d’écriture qu’organise depuis deux ans l’Institut français de Maurice. Les textes que comporte le recueil témoignent de vécus souvent dramatiques des auteurs, de leurs imaginations fertiles et des ambitions littéraires de cette jeunesse mauricienne pas comme les autres, amoureuse de l’écriture. «», déclare la romancière et journaliste SHENAZ PATEL qui a animé, après BARLEN PYAMOOTOO en 2022, la dernière édition de l’atelier connu sous le nom de Bureau des jeunes lecteurs-auteurs de Maurice. « poursuit Patel » « IL FAUT VIVRE POUR ÉCRIRE » Onze jeunes sur les 17 filles et garçons inscrits initialement sont allés jusqu’au bout de l’aventure. Cet atelier d’écriture hebdomadaire fut, d’après l’animatrice, une véritable expérience de vie commune, ponctuée de sorties au cinéma, au théâtre et parfois à des expositions. », raconte Shenaz Patel. L’autre phrase que les onze de Rose-Hill ont régulièrement entendue de la bouche de leur animatrice devenue amie : « ». Du coup, ils ont beaucoup lu : des Mauriciens, des Français, des Américains. Une variété d’ouvrages, les classiques, mais pas que, comme l'explique l'animatrice. » C’est sans doute parce que les participants au Bureau des jeunes lecteurs-auteurs ont voulu jouer à Dieu à leur tour qu’est née l’idée d’une publication de fin d’atelier, avec le nom des auteurs sur la couverture. Le titre de leur publication provient d’un poème proposé par l’un des participants, un poème qui disait « ». « », confie Shenaz Patel. « ÉCRIRE C'EST PARTAGER UN SECRET » compte deux textes, sous la signature de chacun des participants : un récit inventé, imaginé, parfois réaliste, plus un texte proche du genre essai dans lequel les auteurs se donnent libre cours à leurs réflexions et intuitions sur l’écriture. Il y en a tout, vingt-deux textes entre récits fantastiques, nouvelles et écriture de soi révélant des fragilités, des vulnérabilités… « , se souvient Shenaz Patel, » Ont suivi huit mois de débats, de crises, de moments émouvants, de littérature partagée aussi. En somme, « un travail passionnant », si l’on croit l’animatrice. La passion des participants à l'atelier de Rose Hill lit dans les pages du recueil, en particulier dans celles qui évoquent les rapports que ces auteurs balbutiants entretiennent avec la littérature et l'écriture. « souligne Shenaz Patel« » « », s'exclame Pour Cédric Léopold« » L'animatrice cite aussi Romain David qui répond à la question « pourquoi écrivez-vous ? » : « » Les extraits cités ici sont autant de portes qui s'ouvrent sur des mondes intérieurs, riches en promesses et en secrets. Ils sont surtout emblématiques du ton de cette anthologie mauricienne. Un ton brut, lyrique parfois, surtout prometteur d'aubes nouvelles. ___________________________ , par le collectif du Bureau des jeunes lecteurs-auteurs de la promotion 2023 de l’Institut français de Maurice accompagné par Shenaz Patel. 188 pages, prix non indiqué.
est le quatrième roman sous la plume de l’écrivain franco-marocain Rachid Benzine. Ce roman sur les non-dits et les ressentiments entre père et fils, sur fond de drames de l’immigration, a été qualifié par la critique comme l’un des plus beaux livres de la rentrée littéraire de l’automne 2023. Un récit bouleversant d’humanité et d’espérance. Enseignant, islamologue et chercheur associé à l’Institut protestant de théologie pour le fonds Ricoeur, RACHID BENZINE https://www.rfi.fr/fr/podcasts/en-sol-majeur/20230909-sortir-du-silence-marocain-avec-rachid-benzine s’est fait connaître dès la fin des années 1990 comme essayiste, et récemment comme co-auteur avec le rabbin DELPHINE HORVILLEUR https://www.rfi.fr/fr/emission/20130929-2-delphine-horvilleur-tenue-eve-feminin-pudeur-judaisme . Ce livre est un dialogue progressiste et éclairé sur nos pratiques individuelles de la religiosité, mais aussi sur les rapports qu’entretiennent les religions entre elles. Benzine est également l’auteur de quatre romans, des romans dont les protagonistes sont des « » : une mère issue de l’immigration marocaine, amoureuse de Balzac et de la chanson populaire française, une prostituée et mère de famille tunisienne… Son nouveau roman avec pour protagoniste un damné de la terre marocain évoluant dans la France des Trente Glorieuses ne déroge pas à la règle. Hommage à la première génération de migrants aux vécus souvent « minuscules » et « effacées », l’ouvrage s’inscrit dans la philosophie chère à l’auteur : toute vie est digne d’être racontée. « affirme l'écrivain » DISTANCE INFRANCHISSABLE Au cœur du roman, un duo père-fils. Débarqué en France au cours des années de l’après-guerre, le père a travaillé dur pour subvenir aux besoins de sa famille. Il a été mineur dans les houillères du bassin du Nord, ouvrier dans une cimenterie, saisonnier dans des maraîchers du Sud. Les sacrifices du père ont profité au fils devenu un pianiste classique de renommée internationale, mais les années passant, ils se sont éloignés. Les malentendus, les non-dits, les silences ont contribué à ériger entre les deux une distance infranchissable. Le fils, narrateur du récit, reproche à son père taiseux, son mutisme qui est à l’origine de leurs malentendus. Ce reproche résonne dès les premières pages du roman : « » Et Rachid Benzine d'ajouter : « Le Silence des pères » LA QUÊTE D'AMINE Le roman de Rachid Benzine raconte une quête qui conduit le narrateur à travers la France, à la rencontre des hommes et femmes qui ont connu son père, tout en écoutant la voix du défunt père dans les cassettes audio. Cette quête est aussi un dispositif fictionnel pour raconter la vie du père, faite de combats, de convictions, d’allégeances transgénérationnelles. Les plus belles pages du livre sont les lettres que le père adresse à son propre père, révélant sa nostalgie du pays qu’il a quitté à 19 ans pour venir travailler en France, son désarroi face aux codes de son pays d’accueil où il rencontre amour et haine, générosité et mesquineries qui ne sont pas que bureaucratiques. Sa vie a été un combat. La quête d’Amine aidera à combler le fossé qui s’est créé entre père et fils. Ce dernier finira par comprendre le sens des silences de son père. « », écrit l’auteur en citant Walter Benjamin. est un roman émouvant, poignant, empreint d’une gravité sociale aussi. Tout l’art de son auteur consiste à faire passer le lecteur continuellement de l’intime au social, des secrets de famille aux secrets d’histoire. La petite histoire d’Amine et de son père se jouent sur fond de la grande histoire sociale de l’immigration, comme le rappelle l’auteur. « souligne Benzine » Ce souci d’embrasser l’universel est présent dès le titre du livre qui nous fait comprendre d’entrée de jeu que l’ambition de l’auteur est de raconter moins les silences d’un père au singulier que , pères au pluriel, de tous les pères, des pères d’ici et d’ailleurs. * , par Rachid Benzine. Éditions du Seuil, 172 pages, 17,50 euros.
Le Franco-Camerounais Marc Alexandre Oho Bambe a construit une œuvre singulière mêlant poésie et prose. Romancier, poète, slameur connu sous le nom de Capitaine Alexandre, il est l’auteur de plusieurs ouvrages, dont trois romans. Son dernier, , est le sujet de la chronique littéraire. Dans les premières pages du nouveau roman du Franco-Camerounais MARC ALEXANDRE OHO BAMBE http://rfi.fr/fr/podcasts/le-club-rfi/20230812-le-club-rfi-l-écume-des-mots-l-écrivain-marc-alexandre-oho-bambe, le héros métis Jaromil, né d’un père africain et d’une mère française, reçoit dans sa boîte aux lettres un colis inattendu, contenant un courrier de son père qu’il n’a pas revu depuis son enfance. La lettre s’ouvre sur une injonction existentielle, devenue le titre au roman : . Ce titre peu banal donne d’emblée le ton pour le récit à la fois lyrique et dramatique que raconte Oho Bambe, tressant des thèmes aussi divers que le métissage, la paternité, la quête identitaire et l’amour, le tout sur fond de jazz, qui constitue à la fois la texture et le support thématique du roman, comme l’explique le romancier : « » DÉSASTRES Des désastres, Jaromil en connaît un rayon ! Principal protagoniste du roman, celui-ci tente de s’élever au-dessus des désastres personnels qu’il a traversés depuis son enfance. Sa mère qui l’a élevé n’a malheureusement pas su le protéger contre les moqueries dont il a été régulièrement victime. À Limoges, où Jaromil a grandi, au cœur d’une France bourgeoise et blanche, il était traité de « » ou, plus insultant encore, de « ». Mais heureusement, il y avait le jazz, qui sera essentiel dans la construction de soi du jeune homme. Cette musique, qui est la métaphore du devenir-métis du monde dans ces pages, va aider Jaromil à découvrir sa vraie appartenance, conciliant tous les versants de sa personnalité. À lire aussiPlongeon dans les heurs et malheurs d’Aly le talibé, avec Ndiassé Sambe https://www.rfi.fr/fr/podcasts/chemins-d-écriture/20231202-plongeon-dans-les-heurs-et-malheurs-d-aly-le-talibé-avec-ndiassé-sambe Marc Alexandre Oho Bambe a construit son roman comme des étapes de salvation de son héros. La première étape coïncide avec l’entrée du protagoniste dans l’orchestre Kilimandjaro Groove Band, dirigé par l’inénarrable Tanzanien Al. Al prend le jeune trompettiste sous son aile et le fait voyager à travers le monde, de New York à Marciac, en passant par La Nouvelle-Orléans et d’autres villes incontournables du jazz. Le voyage forme la jeunesse, dit-on. Jaromil en est la preuve. « », se souvient le jeune homme. Sa rencontre avec Maïsha, celle qui deviendra sa femme, et la naissance de leur fille Indira, à laquelle Jaromil transmet son amour de la musique, sont les salvations ultimes du personnage, sans compter le bouleversement émotionnel que fut pour lui la réapparition de son père à travers le colis postal. Le plus bouleversant fut, peut-être, la découverte dans le colis de la photo du paternel « Mais, guetté par le désespoir, le jeune héros a encore des démons à apprivoiser. Ceux-ci finiront par le terrasser… DES ROMANS-POÈMES Tragique, dramatique et profondément moderne et inventif dans son écriture, est le troisième roman sous la plume de Marc Alexandre Oho Bambe. Poète, romancier, slameur, l’homme est venu à la littérature à Douala, au Cameroun, où il est né et a grandi, avant de venir s’installer à Paris à l’âge de 17 ans. « se souvient-il » À lire aussiInterrogations sur le devenir d’une génération perdue, avec le Français Walid Hajar Rachedi https://www.rfi.fr/fr/podcasts/chemins-d-écriture/20231125-interrogations-sur-le-devenir-d-une-génération-perdue-avec-le-français-walid-hajar-rachedi Entré dans l’écriture par la poésie qui demeure selon Oho Bambe « », l’écrivain poursuit ses errances poétiques à travers ses romans. La critique parle de « », qualificatif qui sied à merveille au nouvel opus du romancier dans lequel les pages poétiques alternent avec la prose, effaçant les frontières entre les genres. Dans les pages de , l’écriture s’apparente davantage à un récital de jazz, avec des titres, des chapitres inspirés des titres des albums qui enchantent nos mélancolies. Les retours récurrents aux grands maîtres du jazz comme à leurs œuvres - , , , pour ne citer que ces quelques titres – permettent de tracer un chemin d’écriture original, entre jazz et écriture. Il définit la pratique littéraire d’Oho Bambe. « soutient le romancier. » IMPROVISATIONS Dans , ce miracle s’accomplit à travers la fluidité de la narration, à travers la douce mélancolie qui dégage de ces pages et à travers leur ambiance délicieusement nostalgique. Les romans de Marc Alexandre Oho Bambe sont des improvisations fécondes autour de nos vies humaines fragiles où de grands bonheurs et de grandes tragédies font chambre commune. https://www.calmann-levy.fr/livre/souviens-toi-de-ne-pas-mourir-sans-avoir-aime-9782702181836/, par Marc Alexandre Oho Bambe. Editions Calmann-Lévy, 285 pages, 19 euros. À lire aussiLe jugement de Salomon, revu et corrigé par la Nigériane Oyinkan Braithwaite https://www.rfi.fr/fr/podcasts/chemins-d-écriture/20231118-le-jugement-de-salomon-revu-et-corrigé-par-la-nigériane-oyinkan-braithwaite
n’est pas un roman, mais se lit comme un roman. Ce récit de vie nous plonge dans le destin exceptionnel d’un aspirant footballeur, raconté avec grâce et une admirable économie de moyens. est le livre d’un rêveur. Ce rêveur n’est autre que Ndiassé Sambe, notre collègue au service sport de RFI. Journaliste sportif de profession, mais profondément littéraire dans l’âme, ce jeune homme est aussi un aspirant-romancier, rêvant de donner libre cours à son trop plein d’imagination dans les pages des romans à écrire. , confie le journaliste LE BERGER DE FOUTA Le temps du roman n’étant pas encore venu, l’ouvrage que le journaliste vient de publier cet automne avec son co-auteur Aly Slimane Ly, n’est pas un roman mais un récit de vie. Le co-auteur est le véritable protagoniste de ce livre. Ce dernier, au destin incroyable, est le véritable protagoniste du récit. Homme à mille vies, ce berger du Fouta, devenu ingénieur informatique à Arras en France, a aussi été talibé dans une école coranique à Dakar. Remarqué dans les rues de la capitale sénégalaise pour ses facilités avec le ballon rond, il va ensuite intégrer le prestigieux institut de football Diambars créé par un trio de footballeurs stars afin de faire du foot-passion un moteur d’éducation dans le continent. Comment Aly le talibé saisit sa chance et devient le porte-étendard des Diambars, c’est l’histoire que raconte le livre de Ndiassé Sambe. . » L’ENVIE, L’ABNÉGATION, LA DÉTERMINATION est née de la rencontre de deux Sénégalais à Paris, réunis par un commun souci de toucher et d’influencer la jeunesse de leur pays. « écrit Aly. L’auteur évoque, pour sa part, les circonstances de sa première rencontre avec Aly : » SANS FIORITURES Ce produit-là n’est pas un roman, mais il se lit comme un roman, avec ses personnages magnifiquement campés dans leurs univers propres et un sens consommé de récit où alternent tensions et exaltations. Le lecteur sera sensible aussi à l’écriture neutre, maîtrisée, sans fioritures, comme le souhaitait Aly afin de pouvoir toucher le plus grand nombre de ses jeunes compatriotes tentés par l’univers impitoyable du football. L’ouvrage se clôt sur les propos d’Aly affirmant que ce livre n’est pas un aboutissement. Une affirmation que l’auteur Ndiassé Sambe pourrait aussi faire sienne, lui qui ne perd pas de vue l’horizon romanesque qu’il s’est fixé. * , PAR ALY SILEMANE LY ET NDIASSÉ SAMBE. SAARABA ÉDITIONS, 123 PAGES, 6, 90 EUROS.
Ils s’appellent Salem, Lisa, Ronnie, Céline et Matthieu. Ils sont les protagonistes de , le nouveau roman de Walid Hazar Rachedi, consacré à la génération des années 1980. Une génération perdue dont ce roman livre un tableau polyphonique et exigeant à travers le portrait tout en finesse et empathie de cinq protagonistes représentatifs de la France contemporaine. « », aime à répéter Walid Hazar Rachedi. Né en France de parents d’origine algérienne, ce jeune quarantenaire a grandi dans la banlieue parisienne. Diplômé d’informatique et d’une école de commerce, il a parcouru le monde, exerçant sa profession d’informaticien, d’enseignant ou de journaliste. Ses errances l'ont conduit des États-Unis au Portugal où il vit désormais, en passant par le Brésil, le Mexique et Cuba. Mordu de la littérature, il participe depuis une quinzaine d'années à des revues et à des ateliers d'écriture. Rachedi est aujourd'hui l’auteur de deux romans, dont le premier, , a été finaliste du Prix Goncourt du premier roman. Ses récits sont résolument cosmopolites, puisant leur matériau dans l’expérience personnelle de traversées des pays et des univers ainsi que dans l’actualité brûlante de la guerre des civilisations. Son premier roman se termine sur un attentat sanglant frappant des passagers d’Eurostar à la gare du Nord. Conteur des dysfonctionnements des sociétés modernes, l’écrivain se définit comme « ». Des mondes lointains et intérieurs dans le premier roman, alors que , son second roman paru cet automne, met en scène, sur fond des heurs et malheurs de la France contemporaine, une galaxie de personnages engagés dans une quête identitaire aussi personnelle que collective. LA « WORLD-LITERATURE » C’est par la lecture des classiques français que Rachedi est venu à la littérature et à l’écriture. « », se souvient le romancier. Il se souvient aussi de l'impatience fiévreuse qui s'emparait de lui les samedis matin, en attendant que sa maman l'emmène à la bibliothèque municipale où des mondes imaginaires, plus fascinants les uns que les autres, s'amoncelaient sur des étagères passablement poussiéreuses. Le passage de la lecture à l’écriture sera plus compliqué, aux dires de l’auteur, car il avait du mal à trouver ses modèles parmi les écritures françaises contemporaines. La « world-literature » à l’anglaise sera sa porte de salut. « raconte Rachedi » Zadie Smith, Salman Rushdie, dont l’écrivain se réclame, sont les pionniers de la littérature moderne qui ont fait entrer les histoires lointaines et leurs protagonistes dans la tradition romanesque, pas en tant que personnages exotiques, mais des hommes et femmes de chair et de sang dont les lecteurs peuvent se sentir proches. Smith et Rushdie sont aussi de formidables « raconteurs des mondes », de leurs abîmes et de leurs métissages. Ils sont les modèles du premier roman de Walid Rachedi dont l’action se déroule entre Lille, Séville, Grenade, Londres et le lointain Kaboul. Plus franco-français, le nouveau roman de l'écrivain, , est campé dans la France contemporaine autour des enjeux sociaux et politiques graves. Ces enjeux sont incarnés par les personnages du récit. « Nos destins sont liés, explique l’auteur » À ce trio, s’ajoutent deux personnages d’origine française, mais ils sont également perdus et sont, eux aussi, en quête de leur place dans la société. Il y a Céline de Verrière, jeune Versaillaise, étudiante. Vêtue tout de noir, elle est dans un trip gothique. Elle est rebelle, mais ne sait pas exactement contre quoi elle se rebelle. L'autre personnage français se prénomme Matthieu. Matthieu Vincent, c’est un ex-enfant placé. « », soutient l’auteur. Ce sont tous des personnages attachants, notamment Salem Bensayah, le frère de Malek, héros du premier roman, mort dans l’attentat de la gare du Nord. Salem poursuit d’une certaine manière la quête identitaire et spirituelle de son frère, en s’interrogeant sur le sens de sa réussite professionnelle. Ce roman est une sorte de jeu de chaises musicales entre ces cinq personnages qui vont se révéler à eux-mêmes grâce à leurs rencontres avec les autres. « » Structuré en cinq parties, comme une pièce de théâtre classique, propose une fresque générationnelle, celle de la génération née dans les années 1980, engagée dans une quête d’épanouissement impossible. « proclame Walid Hajar Rachedi, » « », telle est la morale de l'histoire à la fois optimiste et grave que raconte Walid Hajar Rachedi dans son beau second roman. Or, sa morale n'est pas que morale, elle est aussi éminemment poétique et rejoint ce que la littérature n'a eu de cesse d'affirmer à travers les âges. elle n'est pas sans rappeler l'appel lyrique du Britannique E.M. Forster, qui écrivait en clôturant son grand roman , « », que l'on pourrait lire comme synonyme de . Rachedi / Forster, même combat ! * , par Walid Hajar Rachedi. Editions Emmanuelle Collas, 417 pages, 22 euros.
Avec un premier roman devenu un best-seller international, la romancière nigériane Oyinkan Braithwaite est une figure montante des lettres nigérianes modernes., son second roman qui vient de paraître en français, est une réécriture grinçante mais réactualisée du jugement de Salomon. Antique et moderne. Oyinkan Braithwaite s’est fait connaître il y a deux ans en publiant son premier roman . Original, empreint d’un humour féroce et provocateur à souhait, ce roman féministe racontait l’histoire de deux sœurs dont la cadette finit toujours par tuer ses amants et la plus grande l’aide à se débarrasser des cadavres. Traduit en une trentaine de langues, en cours d’adaptation au cinéma, est devenu un best-seller international. Sa jeune auteure s’est imposée au cours de ces dernières années comme l’une des plumes les plus prometteuses de la génération montante d’écrivains nigérians de moins de 40 ans. Avec son style vif, son humour mordant et son écriture mettant en scène la vie dans les grandes villes nigérianes transformée par les réseaux sociaux, elle renouvelle la littérature nigériane contemporaine. DOUBLE ALLÉGEANCE Née en 1988, Oyinkan Braithwaite ne se souvient pas comment elle est venue à l'écriture. « », aime-t-elle à répéter. De son propre aveu, elle est une lectrice vorace, surtout de romans FANTASTIQUES http://rfi.fr/fr/podcasts/la-vie-ici/20211115-sf-fantastique-et-si-les-francophones-s-y-mettaient. Elle voue un véritable culte à l’Américaine Robin Hobb et la Britannique Malorie Blackman dont les romans, à mi-chemin entre fantaisie médiévale et science-fiction, sont très prisés par des adolescents. Oyinkan, elle, a découvert le monde du fantastique lors de ses années d’études en Angleterre où elle a étudié le droit et la création littéraire. Elle vit aujourd’hui à Lagos, au Nigeria, mais n'oublie jamais de rendre hommage à sa double culture anglo-nigériane : « » UNE COMMANDE D’ÉDITEUR Second roman de Braithwaite, , est une , soit une longue nouvelle. On lit ses 150 pages d’une seule traite. « », explique Oyinkan Braithwaite. Commanditaire du roman de la Nigériane, The Reading Agency est une maison d’édition subventionnée par le gouvernement britannique, avec pour mission de vulgariser la lecture parmi des adultes qui ont perdu l’habitude de lire. À cette fin, l’éditeur public commande tous les ans de courts textes d’une centaine de pages à des auteurs à succès. était l’un des six ouvrages commandités par The Reading Agency en 2021. « se souvient l’autrice » LAGOS EN PLEIN CONFINEMENT L’action de se déroule dans UN LAGOS EN PLEIN CONFINEMENT http://rfi.fr/fr/afrique/20200401-nigeria-les-rues-lagos-quasiment-désertes-le-confinement. Le roman s’ouvre sur les heurs et malheurs d'un certain Bambi. Coureur de jupons invétéré, le jeune homme s’est fait virer en pleine nuit de chez sa copine. C’est le prix à payer pour ses mensonges et ses infidélités. En attendant la fin du confinement, Bambi se réfugie dans la vaste maison de famille où il est condamné à cohabiter avec la maîtresse d'un oncle défunt et sa veuve. Il y a aussi un bébé dans l’histoire dont les deux femmes revendiquent d’être la mère. Toutes les deux sont prêtes à s’entretuer pour s’emparer du bébé. Il incombera à Bambi d'arbitrer entre les demandes concurrentes des deux femmes et protéger l’enfant contre les assauts de ses deux mères potentielles. Les lecteurs reconnaîtront derrière ce huis clos moderne, une trame narrative vieille comme le monde. En effet, , est une réécriture décalée du récit biblique du jugement de Salomon, comme le rappelle l’auteure elle-même.« L’Une ou l’autre » Réécriture grinçante et moderniste d'un récit antique, ce nouveau roman de la jeune romancière nigériane offre un moment de lecture réjouissant. Son style vif et entraînant nous changent des romans sérieux, souvent académiques, auxquels la littérature africaine nous a habitués. Il y a une demande aujourd’hui pour une littérature de divertissement, « », confie la talentueuse Oyinkan Braithwaite. * , par Oyinkan Braithwaite. Traduit de l’anglais par Christine Barbaste. Éditions La Croisée, 152 pages, 17 euros.
Journaliste et romancière, Lilia Hassaine est l’auteure de trois romans dont qui vient de paraître aux éditions Gallimard. Les romans sous la plume de cette jeune auteure se caractérisent par une écriture nerveuse au service d’une imagination réaliste et puissante. Finaliste du prix Renaudot des lycéens qui sera décerné le 15 novembre prochain, ne déroge guère à la règle. Roman futuriste, à la narration structurée et implacable, il puise son matériau dans les dérives et les failles du réel. 2049 comme 1984. Tout comme le Britannique Orwell, Lilia Hassaine a campé l’intrigue de son nouveau roman dans un avenir proche. Roman dystopique, raconte à quoi pourrait ressembler notre monde de demain, un monde dont le maître-mot sera peut-être « Trans-pa-rence ». Or « transparence » se révèlera être une hypocrisie nouvelle derrière laquelle se cachent moult rapacités humaines et bassesses. MAGASIN D’AMEUBLEMENT C’est en se retrouvant un soir devant la vitrine éclairée d’un magasin d’ameublement à Paris que LILIA HASSAINE http://rfi.fr/fr/podcasts/vous-m-en-direz-des-nouvelles/20230920-panorama-de-lilia-hassaine-un-monde-en-toute-transparencea mesuré les dangers de notre société contemporaine qui fait de la quête exclusive de la transparence le b.a-ba de son organisation. L’auteure a raconté que l’idée de ce récit est née lors d’une promenade nocturne à travers Paris, lorsqu’elle s’est retrouvée devant la vitrine éclairée d’un magasin d’ameublement. « se souvient-elle » Le roman s’ouvre sur des événements fictionnels survenus en 2029. Hassaine imagine que la France connaît une nouvelle révolution, cette fois, une révolution urbanistique, architecturale. Tout Paris ressemble désormais à un vaste magasin d’ameublement, du moins les quartiers de la capitale qui ont choisi de vivre selon la règle de la transparence. Les murs de pierre et de béton des maisons ont été abattus pour être remplacés par des murs de verre. C’est la fin de la vie privée. « REVENGE WEEK » Or cette transformation radicale des villes de France et de Navarre a une histoire. Elle s’est faite dans la foulée d’une « revenge week », une semaine de vengeance pendant laquelle les victimes des crimes familiaux se vengent des violences perpétrées contre elles, s’en prenant elles-mêmes qui à un père fouettard, qui à un mari violent, qui à un oncle vicelard. Le sang va couler dans les rues de Paris. Lorsque le calme revient, les politiques reprennent les choses en main. Ils rédigent une nouvelle Constitution consacrant la construction de maisons de verre où tous vivront désormais sous le regard protecteur de leurs voisins. Les législateurs pensent que cela empêchera les gens de se mettre à l’abri des regards pour commettre des crimes. Les citoyens sont d’accord pour sacrifier leur vie privée et intime pour pouvoir vivre en sécurité. Le taux de criminalité tombe drastiquement et les policiers se retrouvent au chômage jusqu’au jour où… Tous se souviennent du chaos absolu qui s’est emparé des villes depuis le jour où un couple ainsi que leur fils adolescent ont disparu dans un quartier huppé de la capitale. Personne n’a rien vu venir. Comment peut-on disparaître dans une cité hyper protégée et malgré la vigilance des voisins ? L’enquête est confiée à Hélène, une ex-commissaire, double de l’auteure. Le roman social bascule brutalement dans le thriller et Hélène de découvrir la condition humaine dans toute son abjection. La quête de la transparence et de la perfection à tout prix a transformé les citoyens en des êtres narcissiques et la société en un lieu déshumanisé. « souligne l’auteure » ACHARNEMENT SOCIAL ET FLUIDITÉ Romancière talentueuse, Lilia Hassaine s’est fait connaître en publiant en 2019 son premier roman , un récit métaphorique sur l’exil et la nostalgie. , son second roman, inspiré de l’histoire de la propre famille de l’auteure tiraillée entre l’Algérie natale et la France, se partage entre la petite et la grande histoire. À la fois récit futuriste et roman social, puise l’essentiel de son matériau dans les dérives du réel et se lit comme une fascinante critique de notre modernité, de ses failles et de ses faux espoirs. On lira aussi pour son imagination originale, tenue en laisse par son écriture maîtrisée, structurée selon une logique narrative implacable. Lilia Hassaine écrit en journaliste (chroniqueuse à la télé) qu’elle a été. Son écriture est nerveuse, douée d’un sens rare d’économie de moyens et d’efficacité narrative. Ce qui frappe aussi quand on écoute cette jeune auteure d’une trentaine d’années, c’est la quête personnelle qui irrigue son aventure littéraire. « », aime-t-elle à dire. Et d’ajouter : « » où se mêlent l’expérience personnelle et la réflexion, critique et introspection, est un roman particulièrement accompli, qui donne la mesure du talent de l’auteure. C’est la naissance d’une plume majeure, avec une rare confiance en soi. Une plume qui a l’acharnement social d’Annie Ernaux et la fluidité de Duras. _____________________________ , par Lilia Hassaine. Gallimard, 236 pages, 20 euros.
Tchicaya U Tam’Si est un monument de la littérature africaine moderne. Spécialiste de son œuvre, le critique littéraire Boniface Mongo-Mboussa lui consacre un essai biographique lumineux. À la fois narratif et analytique, l’ouvrage éclaire les abîmes et les affres d’une vie vécue jusqu’à la lie et où se cachent les secrets du génie poétique. Entretien. RFI : VOUS AVEZ PUBLIÉ, IL Y A QUELQUES ANNÉES, LES ŒUVRES COMPLÈTES DU POÈTE CONGOLAIS TCHICAYA U TAM’SI http://rfi.fr/fr/afrique/20180421-tchicaya-u-tam-mort-30-ans-congo. EST LE NOUVEAU LIVRE QUE VOUS CONSACREZ À CE POÈTE. S'AGIT-IL D'UNE BIOGRAPHIE ? BONIFACE MONGO-MBOUSSA : C'est un essai biographique, à la frontière entre l'essai et la biographie. Il fallait la narration pour raconter un peu la vie, mais il fallait aussi de l'analyse, situer l'œuvre dans le contexte, dans le temps, et montrer la place qu'occupe Tchicaya dans l'histoire de la littérature africaine contemporaine. C'est ce défi-là que je me suis lancé, que j'ai essayé de réaliser. CES PAGES SONT « », ÉCRIVEZ-VOUS DANS LA PRÉFACE DE VOTRE LIVRE. QUE VOULIEZ-VOUS DIRE ? Quand j'étais en Afrique, au Congo particulièrement, j'avais lu quelques poèmes extraits des anthologies ici ou là et j'ai redécouvert Tchicaya U Tam’Si en Russie. Partout, on te mettait en garde : « ». Et là, en Russie, je le lis dans une langue étrangère et il est totalement transparent. Il me parle. Et surtout, c'est un poète qui m'a accompagné pendant ma période estudiantine en Russie, qui était parfois douloureuse. Tchicaya était un peu ce grand frère qui m'accompagnait. Sa poésie est le livre de chevet que j'avais toujours avec moi et parfois dans ma poche, que je lisais comme un fou. C'est quelqu'un qui m'accompagne depuis. TCHICAYA EST NÉ EN 1931 AU MOYEN-CONGO, DANS L'ACTUEL CONGO-BRAZZAVILLE. SON PÈRE VOULAIT QU'IL FASSE DES ÉTUDES DE DROIT. COMMENT VIENT-IL À LA LITTÉRATURE ? Il vient à la littérature d'abord par les veillées. C'est quelqu'un qui a beaucoup écouté les contes, les veillées quand il était jeune et ça l'a beaucoup marqué. Il vient aussi parce que Tchicaya avait un oncle, qui était un érudit, un conteur, un homme qui aimait raconter de la poésie en langue vernaculaire, qui a traduit d'ailleurs la Bible en vili [langue de la famille bantoue parlée en Afrique centrale, NDLR]. Ce sont les deux héritages poétiques de Tchicaya. Et après, il arrive ici en France en 1946 dans les bagages de son père, député à l'Assemblée nationale de la IVe République française. PENDANT SON SÉJOUR EN FRANCE, LE JEUNE TCHICAYA EST NOSTALGIQUE DE SON PAYS NATAL. CE « », COMME IL AIMAIT LE DIRE, SERA LE PRINCIPAL THÈME DE SA POÉSIE. Oui, c'est surtout le fleuve. C'est un poète de Pointe-Noire. Le fleuve, il rencontre justement au moment où il est de passage à Brazzaville, où le fleuve ressemble vraiment à un bras de mer, ce qu'on appelle le « . Il a quinze ans. Il est totalement ébloui, fasciné par ce fleuve. Et cet aspect est très important dans la poésie de Tchicaya, non plus de la poésie – et je pourrais même dire de la poésie mondiale –, parce que généralement les poètes sont associés à la mer. C'est le vers de Baudelaire : « », ou bien Valéry : « ». Mais Tchicaya, avec Holderlin, est un poète du fleuve, ils sont fascinés par le fleuve et ça, c'est très important. , SON PREMIER VOLUME DE POÈMES PARAÎT EN 1955. C 'EST UNE POÉSIE NOVATRICE, CAR ELLE ROMPT AVEC LA POÉSIE DE LA NÉGRITUDE. POURQUOI CETTE RUPTURE ÉTAIT-ELLE IMPORTANTE ? Déjà, par l’itinéraire de Tchicaya lui-même : c'est un homme qui vient du conte. Ça, c'est très important, de la veillée et c'est quelqu'un qui n'a pas eu la scolarité des poètes de la négritude qui, eux, sont des normaliens. Donc, c'est un autodidacte et c'est quelqu'un aussi qui, très tôt, est rebelle. Et donc, il se pose contre une poésie, surtout celle de Senghor qui est une poésie du « oui », qui est la poésie de la célébration, de l'élégie. La poésie de Tchicaya est une poésie du « non ». Sur le plan thématique, il ne veut pas être nègre. Il trouve cela trop vaste d’assumer sur ses frêles épaules le statut du nègre. Il veut être lui-même. Il veut être Congolais, il ne peut pas assumer la douleur du monde alors que lui-même, il n'arrive pas à assumer la sienne. Et à partir de ce moment-là, il rompt totalement avec la poésie de la négritude. LA POÉSIE DE TCHICAYA EST PERSONNELLE, ROMANTIQUE, MAIS AUSSI TRÈS POLITISÉE, TRAVERSÉE PAR LA RENCONTRE DU POÈTE AVEC LUMUMBA. DANS QUELLES CIRCONSTANCES LES DEUX HOMMES SE SONT-ILS RENCONTRÉS ? Tchicaya était journaliste, il avait des copains en Belgique, ils ont parlé de Lumumba. Ensuite, il y a eu ce fameux discours de Lumumba à Bruxelles qui l'a totalement bousculé. Il décide alors de tout plaquer, de suivre Lumumba au Congo. On le présente à Lumumba. Il faut savoir qu’au civil, il s'appelait Gérald Felix Tchicaya. Le père de Tchicaya s'appelle Jean-Félix Tchicaya. Donc, quand on présente Gérald Felix Tchicaya à Lumumba du Congo-Brazzaville, Lumumba entend Jean-Félix Tchicaya. Pourquoi Lumumba entend Jean-Félix Tchicaya ? C’est parce qu'à l'époque, le père de Tchicaya aussi était député à l'Assemblée nationale française. C'était l'homme politique le plus influent en Afrique centrale. Et de ce fait, Lumumba se montre très révérencieux à l'égard de Tchicaya U Tam’Si qu'il prend pour son père. De son côté, Tchicaya le cancre, l'homme sans diplôme se voit être traité avec autant d'égards par l'homme politique le plus influent à l'époque du continent. Voilà la méprise. La deuxième chose, c'est que Tchicaya va travailler aux côtés de Lumumba. Il va vivre trois mois intenses d'une vie politique, intellectuelle, voire poétique. Puis, Lumumba meurt et chacun doit quelque part inventer un autre apostolat. Et cet apostolat, c’est magnifier le Congo. Or, Lumumba lui-même disait : « » Il y a une rencontre. Il faut savoir que Tchicaya n’est pas le seul à l'époque à s'intéresser à la figure christique, charismatique de Lumumba. Aimé Césaire lui-même a écrit . POURQUOI CES DEUX POÈTES S'INTÉRESSENT-ILS À LUMUMBA ? Parce que Lumumba est le seul à avoir dit non à l'époque. C'est celui qui a osé braver les interdits devant le roi Léopold II. Tenir ce discours mémorable est une façon aussi de venger par le verbe les humiliations, les frustrations de l'époque coloniale. Alors, contrairement à Césaire, qui a un regard un peu de l'extérieur, chez Tchicaya la relation avec Lumumba est plus intime. D'abord, parce qu'il est Congolais comme lui, parce que, comme je l'ai dit, la rencontre s'est faite sur une méprise, mais en même temps, ça a renforcé les liens. Et ce qui fait que quand vous lisez, par exemple, le premier recueil que Tchicaya dédie et consacre à Lumumba qui est , vous verrez que la relation est très intime. Il s'identifie totalement à lui, parce qu'il est poète. Il pense qu'il est la voix des sans voix. Il est journaliste : il pense qu'il peut être quelque part aussi le témoin qui va transmettre son héritage. Et puis il est Congolais. Et ils avaient en partage, avec Lumumba, cette passion du Congo. Ensuite, il va consacrer un deuxième recueil totalement dédié à Lumumba, qui est . Au départ, c'est une poésie très intimiste où domine le mal-être de l'individu, Tchicaya U Tam’Si met en scène ses tripes: il parle de son pied bot, de sa difficulté à rencontrer l'amour. Ce sont des poèmes intimes, mais la rencontre avec Lumumba va évidemment rendre sa poésie plus publique, on peut dire même plus engagé quelque part dans le bon sens du terme, très théâtralisé. Par exemple, moi j'ai toujours pensé qu'un poème comme , on peut le comparer au de Munch, ce célèbre tableau de l'impressionniste norvégien qui est vraiment un cri. Ça s’appelle d'ailleurs . Le ventre, c'est un cri. Et là, ce n'est plus Tchicaya intime. C’est Tchicaya qui crie sa douleur sur la place publique. Mais même dans sa fiction, dans son deuxième roman qui s'appelle , il y a la figure de Lumumba. Enfin, dans sa pièce de théâtre , il y a le spectre de Lumumba qui hante cette pièce. L'identification de Tchicaya U Tam’Si avec Lumumba est totale, parce qu'ils ont une seule ambition : le Congo. TCHICAYA A, À SON ACTIF, SEPT RECUEILS DE POÉSIES, MAIS AUSSI, COMME VOUS VENEZ DE LE RAPPELER, DES ROMANS, DES PIÈCES DE THÉÂTRE, EST SA PIÈCE LA PLUS CONNUE. QUE RACONTE CETTE PIÈCE ? , c'est d'abord une nouvelle dialoguée, qui est devenue l'une des pièces du répertoire du théâtre africain la plus jouée, je dirais même au monde. Et évidemment, ce revient justement à un moment clé de l'histoire de l'Afrique où certains pensent que l'indépendance, c'est le début d'une euphorie nouvelle, alors qu'on prépare déjà quelque part dans les officines en Europe, aux États-Unis, la mort de cette indépendance. Donc, c'est un ouvrage remarquable, écrit sous forme de pièce de théâtre. demeure aujourd'hui le succès théâtral de Tchicaya U Tam’Si. POÈTE REBELLE, TCHICAYA A ÉTÉ COMPARÉ À RIMBAUD, LE « RIMBAUD NOIR ». QUE PENSEZ- VOUS DE CETTE LÉGENDE, ESSENTIELLEMENT INVENTÉE PAR LA CRITIQUE ? C'est vrai. Lui -même, il le dit. « » Il le reconnaît. Mais je pense que si on le réduit à ce cliché de « Rimbaud noir », on n’élargit pas sa poésie, parce que sa poésie va au-delà de Rimbaud. Sa poésie est limpide. Il parle de son mal-être, il parle de son pied bot, il parle de l'amour du Congo, de la mort de Lumumba. C'est notre premier poète moderne. C’est une poésie qui juxtapose le prosaïque et le sublime. C'est une poésie qui a une syntaxe justement de juxtaposition. C'est une poésie qui introduit le conte dans la poésie. Mais justement, c'est là où il innove, c'est là où il est moderne. SA MODERNITÉ NE CONSISE-T-ELLE PAS AUSSI À AVOIR FAIT ENTRER L'AFRIQUE DES FORÊTS DANS L'IMAGINAIRE LITTÉRAIRE ? « », LÀ, JE VOUS CITE, BONIFACE MONGO-MBOUSSA. Quand vous prenez le manifeste de la négritude qui est la de Senghor, avec la préface de Jean-Paul Sartre, vous constaterez que, en fait, qu'il y a un grand déséquilibre. Sur les seize poètes qu'elle compte, trois seulement sont Africains : Birago Diop, David Diop et Senghor, tous d'ailleurs Sénégalais. Et quelques années plus tard, Tchicaya arrive et il fait voler en éclats vraiment toutes les certitudes de la poésie africaine et nègre contemporaine. D'emblée, il rééquilibre quelque part la géographie littéraire, c'est-à-dire entre l'Afrique du Sahel et l'Afrique de la forêt. C'est d'ailleurs un ami tchadien, qui est écrivain lui-même, qui me disait que Tchicaya était le poète des trois F : feu, fleuves et forêts. Et je pense que ça, c'est très important. * , par Boniface Mongo-Mboussa. Préface de Bernard Mouralis. Éditions Riveneuve, 157 pages, 10,50 euros.
Retour au royaume du Kongo avec le nouvel opus de Wilfried N’Sondé. Au cœur de ce roman historique, la saga d’une reine-prophétesse qui a réellement vécu et s’était élevée contre la puissance portugaise pour libérer son peuple du joug colonial. Lauréat de nombreux prix littéraires, le Franco-Congolais N’Sondé signe avec ce huitième roman un récit magistral, entre fiction historique et épopée. « », aime à rappeler le Franco-Congolais Wilfried N’Sondé. Grand lecteur devant l’Éternel, l’homme est lui-même écrivain, romancier, conteur subtil des heurs et malheurs des turbulences du Congo-Brazzaville où il est né et de sa propre quête identitaire à travers une Europe prospère et paradoxale où sa famille s’est installée il y a plus d’un demi-siècle. Au micro de RFI, l’écrivain a tenu à préciser le sens de son affirmation, expliquant comment la découverte de la littérature à l’adolescence lui a permis de se structurer, canalisant sa créativité et abreuvant sa soif d’idéal et de passions. SAINTE OU SORCIÈRE Il est permis de penser que c’est cette quête de l’idéalisme et le goût pour la passion romantique qui ont conduit Wilfried N’Sondé à consacrer son nouvel opus à la KONGOLAISE KIMPA VITA https://www.rfi.fr/fr/podcasts/de-vive-s-voix/20231018-wilfried-n-sonde-raconte-kimpa-vita-le-destin-d-une-femme-sacrifiée dont le nom est associé au romantisme révolutionnaire africain. Le roman raconte la vie et la lutte anticoloniale de cette femme au destin exceptionnel, devenue une prophétesse dans son pays avant de finir, à 24 ans, sur le bûcher, où elle fut brûlée vive sous l’instigation des missionnaires européens. Né à 1968, à Brazzaville (Congo), auteur de huit romans, Wilfried N’Sondé s’intéresse ainsi à l’histoire de son pays. Dans l’un de ses précédents récits intitulé (2018), il avait retracé l’histoire passionnante d’un prêtre kongolais du XVIIe siècle, nommé ambassadeur au Vatican, par le roi de Bakongo. Nsaku Ne Vunda, rebaptisé Dom Antonio de Manuel par ses pairs ecclésiatiques, s’était embarqué dans un bateau négrier pour aller sensibiliser le pape au drame de l’esclavage. « L’HISTOIRE DE KIMPA VITA La vie et la mort de Kimpa Vita que raconte le huitième roman de N’Sondé, ont été scrupuleusement documentées par des ecclésiastiques portugais et italiens. Au dire de l’auteur, c’est dans cette documentation précieuse qu’il a puisé l’essentiel de son matériau, mais aussi dans la mémoire collective où le souvenir de la « reine aux yeux de lune » reste toujours vivace. Le roman s’ouvre sur la légende de la naissance quasi-mystique de sa protagoniste, venue au monde au cœur de la brousse. Comme sa sœur jumelle, morte-née, Kimpa a failli mourir au moment de sa naissance, mais fut sauvée par la sage-femme, qui la ramena à la vie en la plongeant dans les eaux claires de la rivière Mpozo. Cette origine quasi miraculeuse est racontée avec lyrisme et ce qu’il faut de tension et de suspense. Ces pages bruissent aussi des prémonitions des luttes à venir, des guerres, des trahisons que raconte le roman de Wilfried N’Sondé. Kimpa Vita, littéralement « la jumelle née de la guerre », naît dans un pays dominé. Aux temps de sa grandeur, entre le XVe et le XVIIe siècles, le royaume du Kongo s’étendait sur un immense territoire, ses frontières allant de l’Angola au Gabon actuels, en passant par les deux Congo. La fillette grandit dans un royaume qui avait perdu ses fastes depuis belle lurette. Sous occupation portugaise depuis la célèbre bataille d’Ambulia en 1665, le pays se déchire entre des seigneurs de guerre rivaux, instrumentalisés par les puissances coloniales européennes et l’Église omniprésente. Influencée par les histoires que lui raconte sa nourrice et ses visions mystiques, Kimpa Vita devient prophétesse et milite pour l’émancipation de son peuple, en le réunissant sous l’égide de son roi légitime. Auréolée de sa réputation de sainte vierge, capable de communiquer avec le monde invisible, elle mobilise des foules et incarne une figure de résistance populaire à la colonisation. Son prestige grandissant inquiète les colons et l’Église qui la qualifient de sorcière et la font condamner au bûcher. Ils la font condamner au bûcher. « » L’INTÉRIORITÉ DU PERSONNAGE Roman politique, roman féministe, se lit comme une épopée. Une épopée qui ne dédaigne pas l’analyse psychologique, comme dans les pages du roman qui mettent en scène une protagoniste déchirée entre les exigences de son devoir de prêtresse et les appels charnels de l’amour. « souligne l'auteur» En particulier dans ce roman où, en mettant l’accent sur les conflits intimes de son personnage, Wilfried N’Sondé a su humaniser son héroïne, trop longtemps enfermée dans sa réputation marmoréenne de « Jeanne d’Arc africaine ». * , par Wilfried N’Sondé. Éditions Robert Laffont, 232 pages, 20 euros.
Ananda Devi est la grande dame des lettres mauriciennes. Désignée « Voix de Maurice » par Le Clézio, elle raconte dans son nouveau roman les dérives de son île, où les bouleversements tectoniques s’ajoutent à l’avidité des hommes, menaçant de plonger le pays dans le chaos total. Fable sur la fin de la civilisation humaine, ce récit futuriste met en scène les caméléons qui attendent en coulisses que les humains finissent par s’autodétruire pour prendre leur place. « » Le texte est de la romancière mauricienne ANANDA DEVI https://rfi.fr/fr/emission/20111112-1-ananda-devi-hommes-me-parlent ; c'est un extrait de son dernier roman , paru cet automne. C’est un roman grave, voire apocalyptique, où s’agrègent dans une symbiose poétique les thèmes de résistance, de marginalisation et de dévastation que la romancière explore depuis plus de cinq décennies. Poétesse, romancière, nouvelliste, Devi est l’auteure d’une œuvre prodigieuse, traduite dans une dizaine de langues. Elle est admirée pour son écriture incandescente dans laquelle cohabitent cruauté et beauté, cruautés de la vie et beauté d’une prose incantatoire illustrée par le passage lu par l’auteure. UN DEMI-SIÈCLE D’ÉCRITURE Née en 1957 dans le village des Trois-Boutiques à l’île Maurice, Ananda Devi fête cette année un demi-siècle d’écriture. La romancière aime à raconter comment sa rencontre, à l’âge de 15 ans, avec des jeunes défavorisés à l’occasion d’une sortie scolaire, l’a conduite à écrire sa toute première nouvelle. Intitulée , la nouvelle met en scène les rêves d’écriture partis en fumée d’une jeune adolescente condamnée à subvenir aux besoins de sa fratrie, après la mort en couches de sa mère. La nouvelle fut primée au concours de la meilleure nouvelle de langue française de l’ORTF (Radio France et France Télévisions aujourd’hui) et lança la carrière littéraire de la jeune auteure. L’inspiration sombre et tragique de sa première nouvelle annonce, selon Devi, « . Depuis la publication de son premier livre en 1977, Ananda Devi a publié une quinzaine de romans, de récits, de volumes de nouvelles et plusieurs recueils de poésies aux titres souvent évocateurs et intimistes tels que « » ou encore « », pour ne citer que ceux-là. Dans sa fiction, l’écrivaine s’attache à explorer la complexité d’une appartenance multiple dans une société multiculturelle comme l’île Maurice où celle-ci est née et a grandi. L’hybridité, la domination patriarcale, mais aussi les méfaits du capitalisme et du consumérisme sont quelques-uns des sujets qu’elle a régulièrement abordés dans ses romans. Ceux-là s’ajoutent l’impact néfaste du changement climatique et les inégalités sociales, des thématiques au cœur du nouveau roman de Devi, comme le rappelle l'auteure. « Le Jour de caméléons, » UNE TRAGÉDIE ANTIQUE À la fois roman social et récit futuriste, ce quinzième opus sous la plume de la romancière mauricienne est construit comme une tragédie antique, avec son cadre spatio-temporel ordonné selon la règle des trois unités : unité de lieu (« la baie du Tombeau »), unité du temps (« le jour des caméléons ») et unité d’action. L’intrigue est bâtie autour de quatre personnages : Nandini, une femme abusée et désabusée, René, un homme sans qualités et sans courage, bref, un anti-héros, Zigzig, chef de gang qui, animé par son souci d’en découdre avec une bande rivale, met l’île à feu et à sang, et enfin la lumineuse Sara, symbole de l’innocence et enjeu d’une civilisation finissante. Sara est une Iphigénie mauricienne, qui porte sur ses frêles épaules le poids d’une humanité corrompue et condamnée. On est ici dans l’attente d’une apocalypse annoncée, fruit de la concomitance de la dérive sociale et du volcan qui gronde au sous-sol. L’imminence de la tragédie à venir est proclamée par l’île elle-même, à laquelle la romancière donne la parole : » Et d’ajouter : « » car ceux-ci n’ont pas acquitté de leur responsabilité ni à l’égard des plus faibles de leur espèce, ni à l’égard de la nature dont ils ont décimé la flore et faune. « » LES CAMÉLÉONS Les plus belles pages de ce livre sont celles où la romancière met en scène les caméléons, présents dès le titre du roman. Envahisseurs venus de Madagascar dans des barques clandestines, ils sont aussi, à cause de leur peau bariolée, aux « », représentatifs de la pluralité de l’île. Présents sur terre depuis la nuit des temps, ils font preuve de patience et de résilience, s’adaptent aux couleurs ambiantes pour mieux s’ériger en observateurs de la « ». Tout cela fait d’eux de possibles héritiers du monde post-humain, selon Ananda Devi : « » Il y a du Shakespeare – pensez aux scènes finales de ou de – et de l’ grec dans ces pages. Nouveaux maîtres du monde, les caméléons ont « » et « », écrit Ananda Devi. Tapis dans les ténèbres, les caméléons représentent aussi le chœur du théâtre antique qui dit l’apocalypse à venir. * , par Ananda Devi. Éditions Grasset. 272 pages, 20,90 euros.
est le titre du nouvel opus sous la plume du Mauricien Barlen Pyamootoo. L’homme s’était fait connaître en 1999 en publiant , son tout premier roman. Ce récit résolument moderne tant par sa narration que par son souci de rendre compte du quotidien mauricien, sans exotisme ni misérabilisme, a fait d’emblée de son auteur le chef de file de la nouvelle génération d’écrivains de l’île indo-océanique. Le nouveau roman de Pyamootoo s’inscrit dans cette modernité (rediffusion). « », confie BARLEN PYAMOOTOO http://rfi.fr/fr/emission/20190503-pyamootoo-maurice-whitman-secession-poesie. Cette quête de l’ubiquité fonde et anime l’œuvre singulière du romancier du Trou d’Eau Douce, lieu-dit situé sur la côte orientale de l’île Maurice. Faire habiter deux mondes simultanément, l’un en résonance avec l’autre, avait fait le succès de son premier roman, http://rfi.fr/fr/podcasts/20200705-bénarès-mauricien-barlen-pyamootoo. Son intrigue est campée dans un petit village mauricien, alors que toute la narration est hantée à un second niveau par les clichés et les mythologies liés à la célèbre ville indienne qui a donné son nom au village éponyme. Son second roman, http://rfi.fr/fr/afrique/20130318-liens-privilegies-entre-edition-francaise-litterature-mauricienne, paru en 2002, proposait une variation sur le thème de l’ubiquité, mettant en scène une errance à travers l’Irak alors que l’auteur n’a jamais mis les pieds dans ce pays. Le point de départ était une phrase puisée dans l’enfance lorsque le père du petit Barlen lui criait dessus, lui reprochant de passer son temps à vadrouiller plutôt qu’à faire ses devoirs. « », lui lançait-il en colère. En créole, « faire le tour de Babylone » a un sens péjoratif. Dans son second roman, l’auteur joue sur cette double entente pour laisser son imagination vagabonder dans les rues de Bagdad bombardé que contemple un Saddam Hussein hiératique du haut de son portrait accroché à un réverbère. UNE VILLE PARADISIAQUE , le nouveau roman de Barlen Pyamootoo, son cinquième, ne déroge guère à la règle. Monterey, c’est le nom d’une ville américaine, où se déroule l’action du récit. Une ville paradisiaque, du bord de mer, qui n’est pas sans rappeler la ville natale de l’auteur, Trou d’Eau Douce. « se souvient le romancierMonterey … » fait partie du cycle étasunien de Pyamootoo. Après une biographie romancée consacrée au grand poète américain, WALT WHITMAN http://rfi.fr/fr/culture/20190617-barlen-pyamootoo-roman-whitman-feuilles-herbe-etats-unis-guerre-secession, auteur des , le romancier revient à des histoires plus terre à terre, et pourtant si profondément emblématiques de nos vies absurdes, auxquelles on peine à donner du sens. Le roman raconte l’histoire de Nick Armando, un jeune homme à peine sorti de l’adolescence, cheminant dans son existence, entre fugues, ennuis et délinquance. « explique Barlen Pyamootoo, résumant l'intrigue de son roman"des gens de peu"» Plus Gavroche [personnage dans de Victor Hugo, NDLR] que Julien Sorel [protagoniste du de Stendhal, NDLR], naïf et insolent dans sa manière d’être, Nick n’est pourtant animé d’aucune ambition particulière. Issu d’un milieu modeste, élevé par des parents sévères, mais aimants, il se contente de vivre, s’acheminant vers l’horizon que pointent ses talents et ses pulsions. Bricoleur depuis son enfance, habile de ses mains, Nick a un don inné pour la mécanique. Sa passion, c’est de réparer des voitures. S’ennuyant à l’école, il se fait engager comme stagiaire à 13 ans chez un garagiste, au grand désespoir d’ailleurs de son père, qui espérait que son fils unique prendrait sa succession dans son épicerie. Nick apprend vite et se révèle un réparateur doué pour qui, au bout de quelques mois de formation, la batte à planer, la meuleuse, la ponceuse, le bédane, le poinçon effilé, le ciseau à nez rond et la lime fraisée n’a aucun secret. Débauché par des employeurs des villes moyennes des alentours, il quitte Monterey pour Bidwell. Ses employeurs apprécient sa docilité, son goût de la perfection. « » Or, cette succession de verbes dans la bouche du personnage qui se raconte à la première personne, dénote moins l’obstination au travail qu’une succession d’actes répétitifs dont Nick se sent parfois un peu prisonnier. C’est sans doute cette frustration qui le conduira vers son destin, lorsque son chemin croise celui des trafiquants de drogue. L’occasion faisant le larron, il devient à son tour un trafiquant, surveillé de près par les stups. Sa course s’achève en prison… RÉINVENTION DU MONDE Il y a quelque chose de Meursault camusien chez Nick, qui est un anti-héros, un rebelle sans cause. Son récit de vie n’est ni tragique, ni comique. Il n’y a par ailleurs ni emphase ni fioriture dans l’écriture de Pyamootoo. On pourrait presque parler d’une « », qui se signale à l’attention par son dépouillement et la simplicité de dire le réel. La charge émotionnelle est réduite ici au minimum. On pense à de Joyce, livre de chevet de l’auteur. La simplicité n’empêche pas le romancier toutefois de cartographier, avec un sens de précision réaliste, le paysage toujours renouvelé de la vie, comme le soutient Barlen Pyamootoo.« » « », aimait à répéter Barlen Pyamootoo dans les ateliers d’écriture qu’il a longtemps assurés à Maurice. Mettant sa leçon à l’œuvre dans ses propres livres, le romancier, à son tour, réinvente le monde. Il le fait avec brio dans son nouvel opus, où à travers l’évocation nostalgique de l’insouciance de son enfance par le protagoniste, renaît le paysage de « Monterey d’Eau Douce » baigné par le lumineux océan, comme dans l'extrait du roman qui suit : « » Ainsi commence , une invitation à entrer dans le monde poétique de l’incontournable Barlen Pyamootoo. * , par Barlen Pyamootoo. Éditions de L’Olivier, 208 pages, 19 euros.
À l’occasion de la réédition du roman de Sembène Ousmane , Chemin d’écriture a interrogé le jeune écrivain sénégalais Elgas sur l’art romanesque de son compatriote considéré comme l’un des fondateurs du roman africain francophone. Sembène qui aurait eu cent ans le 1ᵉʳ janvier 2023 fut romancier, nouvelliste, mais aussi cinéaste. Elgas revient sur le parcours de cet homme à multiples talents et comment ce dernier continue d’inspirer la jeune génération d’écrivains. [rediffusion] ELGAS, QUAND ON EST SÉNÉGALAIS ET QU’ON A DES AMBITIONS LITTÉRAIRES COMME VOUS EN AVEZ, QUEL REGARD PORTE-T-ON SUR SEMBÈNE OUSMANE ? ELGAS : Sembène est un père fondateur à plusieurs titres. Et moi, c’est vrai que très vite, j’ai développé une grande admiration pour Sembène parce que d’abord, on a en commun la région de Ziguinchor dont nous sommes originaires. Très vite, j’ai été fasciné par son parcours parce que quand il est arrivé en France, il était docker. Puis, il a travaillé dans la manutention avant de se convertir dans la littérature et vers la fin de sa vie au cinéma. D’ailleurs, on le connaît beaucoup plus en tant que cinéaste. Et puis, un autre écho : il a publié comme moi ses premiers textes à Présence Africaine. Sembène est un auteur qui a exploré la société sénégalaise dans ses multiples recoins et qui a un regard à la fois très mûr, mature, sérieux sur la question coloniale, mais aussi sur la question des sociétés africaines et leur devenir. Puis, l’environnement dans lequel il a baigné l’a conduit à éprouver une grande admiration pour le style classique, pour l’écriture, une passion de la littérature. Tout cela fait de lui une sorte de sanctuaire pour les jeunes aspirants littérateurs. EST SON SECOND ROMAN. IL PARUT EN 1957. DANS QUELLES CIRCONSTANCES AVEZ-VOUS DÉCOUVERT CE ROMAN ? Personnellement, je l’ai découvert assez tard. Le livre avait déjà une certaine notoriété au Sénégal. Déjà, quand on est à l’école ou au lycée, le titre de l’ouvrage ne vous laisse pas indifférent. Mais moi, je l’ai lu très tard, je l’ai lu après avoir regardé quasiment tous les films de Sembène. Plus tard, le premier livre de Sembène que j’ai lu, c’était , mais quand j’ai lu justement j’y ai trouvé des échos particulièrement intéressants avec certains de mes ambitions. En tout cas, quand j’écris, il est mon modèle par sa manière de saisir la société, de déciller un peu les yeux, de faire tomber le voile et de peindre toutes les complexités qu’il y a dans cette rencontre coloniale-là. Il avait la capacité à la fois de regarder ce que la colonisation a pu produire comme aliénation, comme force de domination, mais aussi regarder justement certaines traditions dans lesquelles il a essayé de faire le ménage. On retrouve cette démarche dans toute son œuvre. Ni dans ses films, ni dans ses livres, on peut lui reprocher d’avoir été dans des démarches simplistes. À chaque fois, il a responsabilisé les lecteurs. Et je pense d’ailleurs que c’est un de ses plus grands legs pour ses lecteurs et pour les générations d’auteurs à venir. DANS LE ROMAN , IL Y A CE PERSONNAGE ÉTONNANT D’OMAR FAYE. COMMENT VOUS DÉFINIRIEZ CE PERSONNAGE ? C’est vrai que c’est un personnage clé, mais on ne peut pas comprendre ce personnage-là si on ne tient pas compte de son voyage de retour. Dans , il y a cette démarche de rentrer au pays, avec une épouse blanche et la plongée dans l’univers familial. Cet univers est composé d’ancêtres, de patriarches qui tiennent à la tradition et de jeunes qui ont vu d’autres choses et qui essaient de contester la tradition. Mais je pense que les conflits sont naturels. Ce ne sont pas les conflits que le roman fait émerger, ce sont des conflits qui existent dans la société. Toute l’intelligence maintenant, littéraire ou romanesque, c’est d’arriver à les capter. D’ailleurs faire naître l’idée du conflit à l’intérieur d’une entité familiale, entre un père et son fils par exemple, c’est quelque chose que l’on retrouve dans la littérature depuis la tragédie grecque et sans doute depuis beaucoup plus anciennement. Je soutiens que ce ne sont pas des querelles réelles, mais des querelles littéraires dont l’objectif est de donner aux lecteurs des instruments pour pouvoir justement ajuster leur choix ou leur vision du monde. Ce faisant, le roman poursuit sa démarche, qui est de questionner les angles morts et les impensés. ENFIN, ON A BEAUCOUP DIT QUE LES ÉCRIVAINS DE LA GÉNÉRATION DE SEMBÈNE ÉTAIENT DES ROMANCIERS ENGAGÉS. QUEL ÉTAIT LE SENS DE LEUR ENGAGEMENT ? L’engagement est en effet la grande question qui traverse les lettres africaines. Sembène, oui, il était engagé. C’était un ours mal léché. Il était bougon, il était bagarreur. Son cinéma et sa littérature ont cette étoffe politique-là. Si on cède à des catégorisations faciles, on, peut effectivement dire que la littérature de Sembène est engagée. Mais moi, je pense que tout acte de création est un engagement ou un désengagement, ce qui revient justement à tenir un discours politique ou un silence politique.
Après s’être fait connaître en publiant un premier roman délicieusement sentimental et à succès, la Nigériane Ayobami Adebayo livre avec son second roman, très politique. Sur fond de corruption, de violences électorales et de lutte des classes dans le Nigeria contemporain, ce nouvel opus, sous la plume d’une des auteures nigérianes prometteuses, raconte l’entrée mouvementée dans la vie adulte de deux jeunes aux destins diamétralement opposés. Mais la vie s’arrangera pour les faire rencontrer. Entretien. COMMENT EN ÊTES-VOUS VENUE À L’ÉCRITURE, AYOBAMI ADEBAYO ? J’écris depuis l’adolescence. À l’université, j’ai eu un professeur qui m’a beaucoup encouragé à écrire. Comme ce professeur n’était jamais avare de son temps, je lui soumettais mes écrits. Il soulignait particulièrement les expressions stéréotypées et me conseillait de chercher des formules originales, des tournures novatrices. Je faisais des études d’anglais. Cette expérience de quasi-immersion dans des littératures anglophones provenant de tous les coins du monde fut aussi très formatrice pour moi. J’ai compris qu’il ne suffisait pas de savoir raconter une histoire, mais comment la raconter était également important, sinon plus. IL SEMBLERAIT QUE VOTRE MAMAN, QUI ÉTAIT UNIVERSITAIRE, VOUS DISAIT « ». AVEZ-VOUS LU TOUS LES 350 TITRES DE LA COLLECTION ? Non, bien sûr, je n’ai pas lu tous les titres, mais j’ai lu tous les romans qui se trouvaient à la bibliothèque universitaire de ma mère. En tant que professeur, elle avait droit de les emprunter et elle me les passait. C’est comme ça que j’ai découvert les grands classiques de la littérature africaine. Ces romans ont beaucoup compté pour moi. Tout d’abord, parce qu’ils rendaient plausibles mon aspiration à devenir écrivain. Je me disais qu’il y avait un public pour les récits sur le Nigeria, racontés dans une perspective nigériane. Je crois bien que c’est à la suite de la lecture des titres de cette série que j’ai vraiment commencé à réfléchir aux thématiques autour desquelles j’ai bâti mes romans, des thématiques puisées dans le Nigeria contemporain. QUE RACONTE CE DEUXIÈME ROMAN ? C’est l’histoire de deux familles. À travers leurs histoires parallèles, j’essaie de raconter la ville où elles habitent, la société nigériane contemporaine où la lutte des classes bat son plein. J’avais envie d’explorer les conséquences des inégalités sociales sur la vie des protagonistes de mon roman, sur leurs familles aussi. Les deux familles dont le roman retrace l’évolution constituent le prisme à travers lequel j’essaie de donner à voir l’état de la nation nigériane. À ces considérations, viennent s’ajouter une histoire d’amour et de deuil. IL EST QUESTION ICI AUSSI DE LA CORRUPTION, DES RAPPORTS HOMME-FEMME DANS LE NIGERIA AUJOURD’HUI, DE VIOLENCES ETHNIQUES, SOCIALES. C’EST UN ROMAN TRÈS POLITIQUE, NON ? Vous savez, je pense à ce roman depuis très longtemps. Son véritable thème est, à mon avis, la promotion sociale. À travers le vécu de mes personnages, j’ai essayé de comprendre si aujourd’hui, au Nigeria, l’ascenseur social marche, surtout en particulier pour des hommes et des femmes qui ont grandi dans la misère. J’avais à cœur aussi de raconter comment la structure sociopolitique immuable du pays perpétue la hiérarchie des classes. Le cas d’Eniola, issu d’une famille déclassée, illustre bien, me semble-t-il, comment les choix politiques impactent les citoyens. Ce qui m’intéressait en particulier, c’était de montrer les mille et une conséquences de la corruption sur la vie des personnages. CHACUNE DES QUATRE PARTIES DE VOTRE LIVRE EST NOMMÉE D’APRÈS LE TITRE D’UN DES ROMANS NIGÉRIANS RÉCENTS, SOUS LA PLUME DE QUELQUES-UNS DES AUTEURS DE VOTRE GÉNÉRATION. VOUS SEMBLEZ VOULOIR CONSTITUER UN RÉSEAU INTERTEXTUEL D’UNIVERS ET D’IMAGINAIRES ? Oui, absolument. En renvoyant à travers les titres aux livres d’auteurs contemporains, je voulais que le lecteur puisse aborder mon roman en ayant à l’esprit ces autres imaginaires. Je me suis inspirée des visions de mes contemporains car elles semblent dire quelque chose de fondamental sur le Nigeria comme pays, sur ce que cela veut dire être Nigérian aujourd’hui. Ajoutons que j’ai conçu ce roman comme une sorte d’hommage à l’expérience même de la lecture des œuvres littéraires, lecture comme ouverture au monde. est une réflexion sur le Nigeria, mais loin d’être une réflexion isolée, elle se déploie dans la continuité des œuvres littéraires de son temps. (), d’Ayobami Adebayo, traduit de l’anglais par Virginie Buhl, Charleston, 512 p., 22,90 €, numérique 13 €.
Universitaire spécialisée dans la politique internationale et des sujets liés à la question du genre, la Ghanéenne Peace Adzo Medie signe avec un premier roman lucide et ironique sur le patriarcat. Récit sentimental et social, ce passionnant tourne-page, riche en intrigues et frustrations, flirte avec les conventions des romans à l’eau de rose pour raconter le vécu des femmes africaines contemporaines aux prises avec les préjugés anti-féministes de leurs sociétés. « » Ainsi parle la Ghanéenne Peace Adzo Medie dont le premier roman vient de paraître en traduction française dans le cadre de la rentrée littéraire 2023. Universitaire et auteure, elle est maîtresse de conférences en genre et politique internationale à l’université de Bristol, au Royaume-Uni. Elle écrit aussi régulièrement sur ces questions, et notamment sur la violence perpétrée contre les femmes en Afrique. Dans sa fiction, Medie s’inspire des problématiques sociales et féminines sur lesquelles elle a longuement travaillé, tentant de bâtir des passerelles entre sociologie et fiction. Même si, comme elle l’a dit en début de cette chronique, elle voue une admiration infinie à l’auteur de , elle-même elle pratique une narration réaliste, profondément enracinée dans l’ici et maintenant, soucieuse de donner à voir à travers ses récits le vécu des femmes dans l’Afrique contemporaine. , son premier roman paru en anglais en 2020, ne déroge guère à la règle. INTRIGUE « » La condition féminine, mais aussi la société patriarcale, la polygamie sont quelques-uns des thèmes qu’aborde aussi Peace Adzo Medie dans son roman. L’action du récit se déroule dans une petite ville du Ghana où vit la narratrice. Orpheline de père, Afi habite, ensemble avec sa mère, chez son oncle paternel depuis la disparition de son père. Afin de joindre les deux bouts, sa mère travaille dans une entreprise appartenant à une riche famille ghanéenne. Emue par leur sort, la matriarche de la famille prend mère et fille sous son aile. Elle veut aussi que son fils se marie avec Afi, car elle désapprouve les fréquentations féminines du premier et surtout sa maîtresse d’origine libérienne. Or Afi est une jeune fille moderne. Le mariage arrangé n’est pas sa tasse de thé. Elle ambitionne de devenir styliste, gagner sa propre vie et être libre pour aimer l’homme de son choix. Mais comme elle est aussi réaliste, elle finit par donner son feu vert à ce mariage arrangé avec le fils entrepreneur de la patronne de sa mère afin d’arracher sa famille à la précarité. C’est sur la cérémonie pompeuse du mariage de la narratrice avec l’héritier de la riche famille Ganyo que s’ouvre le roman. « » Ces premières phrases donnent le ton du récit, transformant d’emblée ce conte de fée à la Cendrillon en un récit subversif. Imaginant que le marié n’assista pas à son propre mariage, l’auteure fait voler en éclats le mythe du « prince charmant ». En effet, loin d’être le prince charmant, Elikem est quelqu’un de faible. Il est tiraillé entre sa maîtresse libérienne avec laquelle il ne veut pas rompre, et sa mère qu’il n’ose défier en répudiant la belle épouse que celle-ci lui a imposée. Qui plus est, il est aussi un peu amoureux de cette belle épouse avec laquelle il va avoir un fils. Cette comédie de situations finit par conduire à des imbroglios sentimentaux et sociaux qui fondent l’action de ce roman. Riche en intrigues, en cruautés et en déceptions, ce livre est un véritable page-turner. RÉINVENTION DE SOI Roman social, est aussi et peut-être surtout un roman de quête identitaire féministe, centré autour du parcours quasi-initiatique d’Afi, l’héroïne-narratrice du récit. Dans les premières pages du roman, elle est une jeune femme naïve qui débarque dans la capitale ghanéenne pour rejoindre son mari. Elle a pour mission de le ramener sur le droit chemin, une mission qu’elle prend très au sérieux. Mais très vite, confrontée à des difficultés conjugales et sentimentales, elle gagne en épaisseur et maturité. Elle se lance dans un processus de réinvention de soi, apprenant d’abord un métier afin d’être indépendante financièrement. Elle veut aussi être libre dans sa tête, libre de l’emprise de son mari, de cette société patriarcale qu’elle vomit. « » Lucidité, économie de moyens, empathie pour ses personnages sont les principales forces de . Sa narration qui donne à lire, dans les interstices de la comédie sociale, un récit sans complaisance des rigidités et des servitudes dans les sociétés africaines contemporaines, rappelle les premières fictions féministes d’Afrique. Avec peut-être le souci de l’écriture en sus. , par Peace Adzo Medie. Traduit de l’anglais par Benoîte Dauvergne. Ediitons de l’Aube, 304 pages, 21 euros.
Nathacha Appanah est l’une des grandes voix des lettres françaises. Née à Maurice en 1971, elle est l’auteure d’une dizaine de romans dont les plus connus sont qui l’a fait connaître et . Les relations familiales, la mémoire, les questions géopolitiques sont ses thèmes de prédilection. Elle vient de publier aux éditions de Mercure de France, à mi-chemin entre biographie familiale et autofiction. « » Ainsi parle la romancière franco-mauricienne NATHACHA APPANAH /rfi.fr/fr/podcasts/littérature-sans-frontières/20230901-natacha-appanah-en-souvenir-de-ses-aieux-indiens-sur-l-île-maurice. Difficile de ne pas être sensible à la justesse de ses intuitions littéraires, qui témoignent d’une longue pratique de l’écriture. Romancière à la langue travaillée au cordeau, Appanah a publié son premier roman en 2003 et a depuis livré une dizaine de romans partagés entre Maurice et le monde, entre histoire, exploration psychologique et récit sur des turbulences géopolitiques contemporaines. En 2022, elle recevait le prix de la langue française pour l’ensemble de son œuvre. Elle s’est imposée comme une écrivaine majeure de notre temps, donnant à voir le monde comme il va ou plutôt comme il ne va pas, un monde saisi au vif, à l’intersection du réel et de la poésie. Le nouvel ouvrage de Nathacha Appanah n’est pas un roman, mais un récit familial, voire autofictionnel. Publié dans la collection « Traits et portraits » des éditions Mercure de France, raconte l’île natale de l’auteure, à travers le prisme du drame de l’installation de ses ancêtres indiens à Maurice, pendant la seconde moitié du XIXe siècle. « La Mémoire délavée » ARRACHER À L’OUBLI Pour l’anecdote, lors des entretiens qu’elle a donnés à l’occasion de la sortie de son livre, Nathacha Appanah a expliqué qu’elle voulait écrire ce livre depuis très longtemps, mais ne savait pas comment s’y prendre. Elle a commencé par se lancer dans un poème épique, avant d’abandonner l’essai. Quelque chose de ce premier jet se retrouve dans le début poétique, voire métaphorique, de , dans une scène onirique de la danse des étourneaux dans le ciel. Le récit à proprement parler s’ouvre sur la découverte de trois fiches aux archives de l’immigration à l’état-civil mauricien. « , écrit l’auteure. » Ces ancêtres venaient de l’Inde, d’un village du Sud du pays, locuteurs de la langue telougou. Ils sont venus par bateaux et le voyage avait duré quelque sept semaines. A leur descente de bateau, ils sont affublés d’une matricules par une bureaucratie coloniale « froidement administrative », avant d’être dépêchés vers les plantations où ils rejoignent les masses laborieuses du pays et où leurs traces se perdent. Pour arracher à l’oubli ces lointains ancêtres, la romancière se tourne vers la mémoire familiale, mais cette source ne tardera pas à montrer ses limites, comme l’écrit Nathacha Appanah : « » HOMMAGE Cette « mémoire délavée » ne concerne pas toutefois les grands-parents de la narratrice, dont la présence illumine les derniers chapitres de cette biographie familiale. Leur mémoire est restée vivace dans l’esprit de l’auteure qui, petite fille, a vécu avec ses grands-parents, comme cela se fait beaucoup dans les grandes maisons à Maurice où plusieurs générations vivent sous le même toit, comme le rappelle l'auteure.. « » Ce décalage n’empêchait guère l’intimité, ni affection, ni transmission. Comme le rappelle le récit de leur vie commune, entre grands-parents et petite fille, il y avait transmission de valeurs, mais aussi de peurs ataviques. « , s’interroge la narratrice, faisant référence à la crainte de l’eau chez les grands-parents, une crainte héritée sans doute du tabou du franchissement de ou « l’eau sombre » dans la religion hindoue. Consacrée quasi-exclusivement aux grands-parents, la seconde moitié de convoque les événements doux-amers de la vie du couple, les souvenirs aussi de leurs combats, leurs sacrifices, leur résilience, qui font d’eux aux yeux de la narratrice des personnages d’exception, malgré leur « » dont celle-ci dit de ne rien ignorer. Émouvant hommage aux ancêtres, le livre de Nathacha Appanah touche aussi par son écriture d’une beauté singulière, époustouflante de sincérité et de maîtrise. Et surtout d’harmonie réussie entre la voix et le sens. C’est le livre d’une artiste au sommet de son art. * , par Nathacha Appanah. Collection « Traits et portraits ». Mercure de France, 151 pages, 17,50 euros.
Dans ce second volet de la chronique consacrée à la romancière NoViolet Bulawayo et à son nouveau roman Glory, publié en français par les éditions Autrement, il est question des lendemains qui déchantent au Zimbabwe et de leur représentation sous la plume inventive d’une romancière montante, bourrée de talents. Avec deux romans à son actif et une grande intelligence narrative, la Zimbabwéenne s’impose comme une nouvelle star dans le firmament des lettres africaines. « » La romancière zimbabwéenne NOVIOLET BULAWAYO https://rfi.fr/fr/podcasts/chemins-d-écriture/20230902-dans-le-zoo-politique-du-zimbabwe-avec-noviolet-bulawayo-1-2 nous explique ainsi comment elle a procédé pour le choix du bestiaire qui peuple son nouveau roman. Ce roman, intitulé très simplement , raconte l’histoire contemporaine du Zimbabwe, à partir de la destitution de son président longtemps inamovible Robert Mugabe en 2017 jusqu’à la mort de celui-ci deux ans après, en passant par l’installation d’un nouveau régime qui s’est révélé être aussi autoritaire et corrompu que le régime qu’il a remplacé. UNE FABLE ANIMALIÈRE est un roman allégorique dont l’action est racontée à travers la grille de lecture d’un pays fictif, le Jidada, peuplé d’animaux. Prolongeant les propos introductifs de l’autrice, on pourrait ajouter qu’outre les chevaux et les chiens, on croise aussi dans ce roman des cochons, des vaches, des poulets, des paons. Et, , une chèvre nommée Destinée dont le retour au pays, au terme d’un long exil aux États-Unis, et ses retrouvailles avec sa mère hantée par l’histoire de la guerre anti-coloniale sanglante de son pays, constituent le cœur vibrant de ce roman. Si cette fable animalière n’est pas sans rappeler du Britannique George Orwell et sa satire du totalitarisme stalinien, la véritable source d’inspiration pour a été, si l’on en croit l’auteure, les récits animaliers de sa grand-mère, qui ont peuplé son enfance. reprend NoViolet Bulawayo FÊTE D’INDÉPENDANCE AU JIDADA s’ouvre sur la célébration de la fête de l’indépendance au Jidada. Elle est racontée sur le mode de la farce, avec une écriture très visuelle. La cérémonie en question est présidée par la Vieille Carne, qui n’est autre que le dictateur quasi-centenaire, Robert Mugabe qui gouverne le pays depuis presque quatre décennies. La tribune officielle érigée sur la place Jidada est haut en couleurs, avec la présence sur l’estrade de généraux représentés par des chiens féroces, tiraillés entre leur mission de protéger le président et leurs velléités complotistes. L’air est électrique, car les rivalités ont failli éclater au grand jour entre l’ambitieuse ânesse Merveilleuse, l’épouse de la Vieille Carne et le vice-président, lui aussi un vieux cheval mais doté d’une démarche d’hippopotame, précise l’autrice. Les deux sont candidats à la succession du président. La rivalité est si grande entre leurs deux camps que même l’irruption brutale sur l’estrade de douze Jidadiennes entièrement nues, réclamant le retour à la maison de leurs frères ou maris disparus, ne parvient pas à atténuer la tension… L’ACTION MENÉE TAMBOUR BATTANT Divisée en une vingtaine de chapitres où l’action progresse tambour battant sur plus de 450 pages, raconte aussi la destitution du président Mugabe, la liesse populaire qui laisse vite place aux lendemains qui déchantent, le retour d’exil de la chèvre nommée Destinée. Cette dernière est le personnage central du roman. C’est à travers ses yeux que les lecteurs mesurent le désespoir et la déception du petit peuple jidadien confronté à la faim, la corruption et aux promesses non tenues par les gouvernements successifs. Paradoxalement, seul le personnage de Mugabe trouve grâce dans les yeux de la narratrice. « soutient NoViolet Bulawayo» Il y a en effet quelque chose du personnage du dans la représentation de Mugabe dans les pages de . Abandonné de tous, on le voit descendre incognito dans les rues de la capitale afin de constater de ses propres yeux la désaffection populaire à son égard. Les propos insultants qu’il entend, les pancartes l’appelant à partir en des termes peu amènes, le décident à donner sa lettre de démission aux militaires qui ont pris d’assaut son palais. « », écrit la romancière. Suivront deux autres, racontées sur le mode tragi-comique, mais jamais sans empathie. Empreint d’une grande maturité narrative, est un roman profondément humain. Son véritable sujet est la tragédie des hommes et des femmes, confrontés aux bégaiements de l’Histoire. NOVIOLET BULAWAYO. « " » Il serait en effet simplificateur de réduire les romans de NoViolet Bulawayo à leur charge politique et leur enracinement zimbabwéen. Les heurs et malheurs du peuple zimbabwéen qui sont au cœur de sont représentatifs de la dégradation du politique à travers le monde, comme en témoigne l’irruption dans ces pages d’un Trump en babouin twittophage et au mouvement en plein cœur d’un récit sur la chute et le déclin de l’empire mugabéen. « », rappelle Noviolet Bulawayo. , par NoViolet Bulawayo. Traduit de l’anglais par Claro. 449 pages, 23,90 euros.
Romancière zimbabwéenne, NoViolet Bulawayo illumine la rentrée étrangère 2023 avec son second roman , un récit allégorique de l’histoire du Zimbabwe. Original, inventif et drôle, ce livre est une réécriture d’ du Britannique George Orwell. Dans les rôles principaux, un cheval, une ânesse, un cochon et des chiens habillés en tuniques de toutes les couleurs. « » Ces mots sont ceux de la Zimbabwéenne NoViolet Bulawayo, dont paraît ces jours-ci, en traduction française, son dernier roman, . Un titre simple, mais satirique à souhait, à l’image des 450 pages que compte ce roman fable. Conçu sur le modèle d’du Britannique George Orwell, raconte le devenir mouvementé du Zimbabwe contemporain, à travers les voix des animaux. « », confie la romancière jointe par téléphone. RÉINVENTION DE SOI est le deuxième roman de NoViolet Bulawayo. La romancière s’était fait connaître en publiant, il y a dix ans, un premier récit quasi-initiatique, avec pour titre (Gallimard 2013). Son action se partage entre le Zimbabwe et les Etats-Unis, avec pour thème central la réinvention de soi, comme l’annonce le titre poétique du roman. L’œuvre de cette écrivaine montante, bourrée de talents, s’inscrit dans la riche tradition littéraire zimbabwéenne, qui a donné quelques-uns de grands noms de la littérature africaine anglophone, dont beaucoup de femmes. Elles s’appellent Tsitsi Dangaremgba, Yvonne Vera, Pettina Gappah, pour ne citer que celles-là. Née en 1981, quasiment au moment de l’indépendance du Zimbabwe, NoViolet Bulawayo n’était pas pourtant prédestinée à devenir cette écrivaine admirée qu’elle est devenue. Son père, aujourd’hui policier à la retraite, aurait aimé que sa fille embrasse une carrière plus reconnue socialement. NoViolet Bulawayo. « » LE JIDADA, PAYS FICTIONNEL À 18 ans, tout comme Darling, l’héroïne de son premier livre, la future romancière est partie rejoindre une tante aux États-Unis, dans le but de faire des études supérieures. Nostalgique de son pays et de Bulawayo, la ville natale où elle ne pourra rentrer avant longtemps, elle s’est mise à écrire, signant ses premiers textes du pseudonyme NoViolet Bulawayo. « Violet » était le nom de sa mère, que l’auteure avait perdue dans sa petite enfance, et « no » signifie « avec » dans l’idiome ndebele, la langue maternelle de celle qui reste encore connue sous le nom de Elizabeth Zandile Tsehele pour l’état civil. On l’aura compris, les noms sont capitaux dans les récits de NoViolet Bulawayo. Ils aident à lutter contre la nostalgie et à combler nos manques psychiques. Ils servent aussi à se moquer des puissants et des corrompus, comme on s’en rend compte en parcourant les pages de . On y croise « la Vieille Carne », surnom de Mugabe, imaginé sous les traits d’un cheval vieillissant. Son épouse est l’ambitieuse ânesse Merveilleuse, à la langue de vipère. La population du Jidada, le pays fictionnel où se déroule l’action de ce roman, est fatiguée du long règne du tyran. Il finit par être renversé par un groupe de cruels militaires. Ces derniers sont incarnés par des molosses féroces, tous maréchaux ou généraux. Ils se targuent de leurs titres ronflants et de surnoms qui prêtent à sourire. Ils s’appellent le général Judas Goodness Reza, le général Saint Zhou ou encore le général Animour , qui est « », écrit l’auteure. COMÉDIE GRANDGUIGNOLESQUE Humour alterne ici avec horreurs. Le nouveau roman de NoViolet Bulawayo nous fait souvent rire, mais derrière son masque de comédie grand-guignolesque, est surtout un roman tragique. Il retrace la tragédie du Zimbabwe et de sa population qui, en quarante ans d’indépendance, n’a connu que la tyrannie, la corruption, et la misère qui creuse le ventre mais aussi l’esprit. Sur les circonstances qui l’ont conduite à se servir d’une grille de lecture animalière pour raconter la chute et le déclin du Jidada « », écoutons NoViolet Bulawayo : » Dans la deuxième partie de cette chronique consacrée à NoViolet Bulawayo que vous pourrez écouter la semaine prochaine, nous parlerons du basculement de l’Histoire dans et de sa narration aussi passionnée que contenue. , par NoViolet Bulawayo. Traduit de l’anglais par Claro. Éditions Autrement, 453 pages, 23,90 euros.
Rentrée littéraire oblige, cette semaine, se conjugue au pluriel. Au menu, une sélection de quatre romans pour évoquer la production africaine. Une sélection qui se veut à l’image des promesses de la saison littéraire qui s’ouvre. Elle se veut diverse et puissamment engagée, comme le rappelle la chronique qui suit, faisant entendre les voix de Nathacha Appanah, Ananda Devi, NoViolet Bulawayo, Wilfried N’Sondé et Christiane Fioupou, traductrice de Wole Soyinka. Très attendu, le dernier roman du prix Nobel de littérature nigérian WOLE SOYINKA https://rfi.fr/fr/podcasts/20200429-pourquoi-écouter-wole-soyinka-et-les-penseurs-continent est enfin disponible en français. Plus connu comme dramaturge et essayiste, Soyinka n’a écrit que trois romans. Le nouvel opus du maître d’Abeokuta est présenté par Christiane Fioupou, éminente spécialiste des lettres nigérianes : « » sous la plume de la Zimbabwéenne NoViolet Bulawayo est le second titre de la sélection. Original, inventif et drôle, ce roman est une réécriture de George Orwell, adapté à la situation au Zimbabwe. Dans les rôles principaux, un cheval, une ânesse, un cochon et des chiens habillés en tuniques de toutes les couleurs. Sur le sens de l’animalisation de la classe politique de son pays, écoutez l’auteure NoViolet Bulawayo : « Glory » Le troisième titre de la sélection est de la Mauricienne Nathacha Appanah. Paru dans la prestigieuse collection « Traits et Portraits », rédigé dans un style étonnamment maîtrisé, n’est pas un roman, mais, comme l’explique Appanah dans une vidéo publiée par son éditeur : « La Mémoire délavée, » du Congolais Wilfried N’Sondé est le quatrième titre de la sélection. Inspiré d’un personnage réel, ce roman raconte le destin d’une femme sacrifiée dans le royaume Kongo, au XVIIe siècle. Qui était Kimpa Vita ? Sainte ou sorcière ? L’auteur répond : « » par Wole Soyinka. Traduit de l’anglais par David Fauquenberg et Fabienne Wole Soyinka. Editions du Seuil Traduit de l’anglais par Claro. Editions Autrement, 453 pages, 23,90 euros , par Nathacha Appanah. Collection « Traits et Portraits ». Editions Mercure de France, 148 pages, 17,50 euros , par Wilfried N’Sondé. Editions Robert Laffont, 232 pages, 20 euros
Avec le Nigeria et l’Afrique du Sud, le Zimbabwe s’est imposé au cours des dernières décennies comme l’un des grands pourvoyeurs de poètes et romanciers novateurs se produisant en anglais, mais aussi en shona et ndebele. Alors que les Zimbabwéens s’apprêtent à voter ce 23 août pour élire leur président et leurs parlementaires, a interrogé Gibson Ncube*, spécialiste des lettres africaines, sur les riches heures du Zimbabwe littéraire. Entretien. RFI : QUELLES SONT, SELON VOUS, GIBSON NCUBE, LES PRINCIPALES CARACTÉRISTIQUES DE LA LITTÉRATURE ZIMBABWÉENNE MODERNE ? GIBSON NCUBE : La littérature zimbabwéenne, comme n’importe quelle littérature, est façonnée par son contexte sociopolitique, son histoire unique, sa culture. L’une des choses les plus importantes dans la littérature zimbabwéenne, c’est la manière dont les écrivains expérimentent avec la langue. Si on prend par exemple le livre de Brian Chikwava, (1) où il essaie de créer une sorte de créole anglais, qui mélange l’anglais avec les langues indigènes du Zimbabwe. Un autre exemple, avec Petina Gappah qui s’intéresse à introduire les langues indigènes aux récits qui sont principalement en anglais. Les traductions de ces différentes langues sont incorporées dans des récits. PEUT-ON DIRE QU’IL S’AGIT D’UNE LITTÉRATURE DE TÉMOIGNAGE ? Effectivement. Donc, la « littérature of witness », du fait que les écrivains essaient de documenter et mettre en avant les oppressions qui se passent dans le pays. À la fois, ils essaient de montrer ces réalités et ces injustices, en même temps, ils essaient d’écrire contre ces injustices. Si on prend par exemple Yvonne Vera, elle est l’un des premières écrivaines zimbabwéennes qui a tenté de mettre en littérature le génocide de Gukurahundi qui s’est passé pendant les années 1980 et qu'elle a appelé « le péché originel » du Zimbabwe postcolonial. Si vous prenez, par exemple, le livre de NoViolet Bulawayo, (2), il montre que le règne présent continue à perpétrer les mêmes injustices que pendant le régime de Mugabe. LEUR ENGAGEMENT POLITIQUE ET SOCIAL N’A PAS EMPÊCHÉ LES AUTEURS ZIMBABWÉENS D’ÊTRE INVENTIFS DANS LA FORME ET DANS L’ÉCRITURE, COMME EN TÉMOIGNE LE ROMAN EXPÉRIMENTAL DE DAMBUDZO MACHERERA, (3), PARU EN 1978 ET QUI A FAIT DATE. DAMBUDZO MARECHERA https://rfi.fr/fr/podcasts/20200822-la-maison-la-faim-dambudzo-marechera est l’un des écrivains phares zimbabwéens, non seulement parce qu’il traitait des thèmes qui étaient pertinents, mais aussi à cause de son style novateur. Et aussi la façon dont il a essayé d’explorer l’identité, tout en critiquant le système colonial et aussi le système postcolonial. La façon dont il se servait de la langue était très importante pour mettre en avant ce qui se passait au Zimbabwe. DANS L’ARTICLE SUR LA LITTÉRATURE ZIMBABWÉENNE QUE VOUS VENEZ DE PUBLIER DANS , VOUS PARLEZ DE « GÉNÉRATION PERDUE ». À QUELS ÉCRIVAINS ET À QUELLE SENSIBILITÉ RENVOIE CETTE FORMULE ? On utilise cette expression pour faire référence aux écrivains qui ont composé leurs textes à partir de 2000-2010 qui a été période assez turbulente dans l’histoire du Zimbabwe à cause des réformes agraires et leurs effets néfastes sur l’économie, sur la politique. Les écrivains de cette période, je pense par exemple à NoViolet Bulawayo qui a composé d’abord (4) et aussi récemment , parlent de la complexité des déplacements et du fait de devoir quitter le pays à cause des problèmes qui se trouvaient dans le Zimbabwe. Il y a aussi des écrivains comme Petina Gappah dont les romans aussi explorent cette période difficile de l’histoire récente du pays. Je pense aussi à des écrivains comme TSITSI DANGAREMBGA https://rfi.fr/fr/podcasts/chemins-d-écriture/20201204-tsitsi-dangarembga-romancière-cinéaste-et-militante-féministe dont le roman phare (5), publié dans les années 1980, et récemment avec son roman continue de parler des choses qui touchent les Zimbabwéens et surtout les femmes. Les écrivains cités montrent que les combats féministes sont centraux à la littérature zimbabwéenne contemporaine. MALGRÉ LA MISÈRE ET L’APPAUVRISSEMENT GRANDISSANTS DU PAYS, LA LITTÉRATURE ZIMBABWÉENNE DONNE À VOIR UNE RICHESSE D’IMAGINATION, UNE INTELLIGENCE CRÉATIVE. CELA SUPPOSE QUE LES AUTEURS SOIENT PASSÉS PAR DES ÉCOLES QUI MARCHENT, DES PROGRAMMES D’ÉDUCATION EFFICACES. C’EST UN DES HÉRITAGES POSITIFS DES ANNÉES MUGABE ? Mugabe a fait du bon travail en ce qui concerne le système éducatif. C’était gratuit pendant les dix premières années après l’indépendance. Je pense qu’il a beaucoup dépensé dans l’éducation, mais je ne dirais pas que c’est seulement à cause du système éducatif qu’on ait une telle floraison de littérature au Zimbabwe. Je pense qu’il y a eu d’autres facteurs comme le contexte historique, aussi culturel et socio-politique qui a joué un rôle important dans l’émergence d’un si grand nombre d’écrivains talentueux. ENFIN, SI VOUS DEVIEZ RECOMMANDER TROIS ROMANS ZIMBABWÉENS À LIRE À NOS AUDITEURS, QU’ALLEZ-VOUS NOUS PROPOSER, GIBSON NCUBE ? Pour moi, ce serait (6) d’Yvonne Vera. J’admire la manière dont elle est parvenue à représenter le génocide qui est resté longtemps indicible. Jusqu’à la parution de ce roman, il n’y a pas eu de représentation littéraire de ce drame. Deuxième titre, je dirais Harare North de Brian Chikwava. C’est un roman qui va dans la psychologie d’un jeune homme qui a perpétré plusieurs crimes au Zimbabwe pour le compte du gouvernement et qui est forcé de quitter le pays et d’aller au Royaume-Uni où il fait face à différents problèmes parce qu’il doit réfléchir aux conséquences des crimes qu’il a commis. Le troisième titre que je pourrais recommander, c’est de Tsitsi Dangarembga. C’est l’un des premiers romans où pour la première fois un personnage noir prenait la parole et raconte des histoires. * *D’ORIGINE ZIMBABWÉENNE, GIBSON NCUBE EST ENSEIGNANT CHERCHEUR À L’UNIVERSITÉ DE STELLENBOSCH, EN AFRIQUE DU SUD. IL A FAIT SON DOCTORAT SUR LA SEXUALITÉ « QUEER » DANS LA LITTÉRATURE MAGHRÉBINE FRANCOPHONE, À L’ORIGINE DE SON LIVRE LA SEXUALITÉ QUEER AU MAGHREB À TRAVERS SA LITTÉRATURE (L’HARMATTAN 2018). IL A AUSSI ÉCRIT SUR LA LITTÉRATURE COMME RÉSISTANCE AU ZIMBABWE. (1) , PAR BRIAN CHIKWAVA. ÉDITIONS ZOÉ, 2011 (2) , PAR NOVIOLET BULAWAYO. ÉDITIONS AUTREMENT, 2023 (3) , PAR DAMBUDZO MARECHERA. ÉDITIONS DAPPER, 2001 (4) , PAR NOVIOLET BULAWAYO. ÉDITIONS GALLIMARD, 2014. (5) , PAR TSITSI DANGAREMBGA. ÉDITIONS L’ÉCOLE DES LOISIRS, 1993 (6) , PAR YVONNE VERA. ÉDITIONS FAYARD, 2003
Professeur en littératures africaines à l’université de Chicago, Khalid Lyamlahy est aussi critique littéraire et romancier. Cet auteur talentueux s’est fait connaître en 2015 en publiant son premier ouvrage de fiction , portant sur les thèmes de la migration et de l’exil. La noyade par suicide d’un jeune Gambien dans le Grand Canal de Venise en 2017 est le point de départ de son second roman, paru cette année. est un roman moderne où se mêlent poésie, interrogations sur l’écriture et récits des trajectoires de migrants africains. « » Le mémorial dont nous parle l’écrivain marocain KHALID LYAMLAHY http://rfi.fr/fr/emission/20180327-khalid-lyamlahy-auteur-roman-etranger, auteur de , publié aux éditions Présence Africaine, est un monument d’encre et de mots que le romancier propose d’élever pour perpétuer la mémoire du jeune réfugié gambien Pateh Sabally, disparu dans des conditions tragiques. Par une froide journée de janvier 2017, celui-ci s’est donné la mort en se jetant dans l’eau glaciale du Grand Canal de Venise. Le drame s’est déroulé au vu et au su des passants et des touristes, qui ont assisté en direct à la noyade, certains hilares, d’autres inquiets, mais tous s’interrogeant si l’homme ne faisait pas un numéro pour attirer leur attention. Sur des vidéos qui ont circulé depuis, on entend clairement des rires, des insultes, des cris « », mais pas le moindre bruit de plongeon de secouriste sautant dans l’eau pour sauver le jeune homme d'une mort certaine. C’est cette absence d’empathie et le racisme ambiant qui ont conduit le romancier marocain à se lancer dans la rédaction de son mémorial. « raconte Khaled Lyamlahy. » UNE PERTE D’HUMANITÉ « », la question traverse le roman de part en part. « affirme l’auteur, », le véritable sujet de ce nouveau roman. Professeur de littérature, mais aussi romancier, Khaled Lyamlahy s’est fait connaître en 2017 en publiant , un premier ouvrage de fiction consacré déjà aux thèmes de la migration et de l’exil. Dans , son deuxième livre de fiction, il revient à la charge à travers l’exploration poétique des tenants et aboutissants du suicide du jeune Gambien. L’auteur procède par des mises en perspective. Il cite en début du roman Aimé Césaire, plus précisément un fragment du , œuvre qui a fondé le combat anti-colonial africain : « », s’écrie le poète. « » On aura compris, pour le romancier, loin d’être un acte isolé, le plongeon fatal du Gambien indésirable dans l’eau glaciale du Grand Canal s’inscrit dans la continuité des grandes tragédies civilisationnelles qui ont ébranlé l’Afrique : la traite, la colonisation, le drame des tirailleurs sénégalais. ENTRE POÉSIE ET PROSE Situé au carrefour de l’histoire, de la géopolitique, des réflexions et des récits, est un roman atypique, à mi-chemin entre poésie et prose. Il s’organise en trois parties : « », « » et « ». La première partie, alternant entre Venise et Wellingara, village gambien dont Pateh Sabally est originaire, retrace la trajectoire du personnage, de l’enfance jusqu’à sa mort par noyade dans les eaux d’une ville située à 6000 km de sa terre natale. Une grande partie de la vie du personnage étant inconnue, l’auteur s’est appuyé sur l’imagination pour combler les failles du récit. La fiction s’y prête admirablement. Le ton change dans la seconde partie du livre. Il se fait plus âpre pour évoquer les « » que suscite la présence de l’homme noir. « », ironise l’auteur. Il faudra attendre la troisième partie du roman, « », pour voir enfin s’opérer la catharsis. Le choix d’une narration dialoguée, où le narrateur s’adresse au personnage en le tutoyant, n’est sans doute pas étranger à cette résolution des tensions dans le récit, comme l’explique Khalid Lyamlahy. « » Main tendue pour arracher à l’oubli les Pateh et les autres migrants africains, les oubliés de l’Histoire. La construction du mémorial marque la victoire de la mémoire sur l’oubli. C’est aussi la victoire de l’écriture sur le silence et son abîme que brosse le Marocain Khalid Lyamlahy dans un roman aussi inventif que poétique. * , par Khalid Lyamlahy. Éditions Présence Africaine, 171 pages, 12 euros.
Amoureux du Caravage, de Flaubert et de Mozart, Zadig Hamroune livre avec un roman autobiographique lyrique, structuré en un succédané de fresques impressionnistes où les images ont la couleur des sentiments. est le troisième roman sous la plume de ce Franco-Algérien, passionné par la poésie et l’écriture. « » Peut-on être arabe et pédé, s’interroge le jeune Lyazid, qui a grandi dans la campagne normande, à quelques encablures de Caen. Lyazid est le héros-narrateur de , poignant roman autobiographique de l’Algérien Zadig Hamroune. est un Bildungsroman, sur le modèle des sartriens ou de Michel Leiris. Ce roman, dont l’action se déroule dans les années 1970 dans la ville de Hérouville Saint-Clair, raconte l’apprentissage de la vie par le personnage central, tiraillé entre sa double culture et cherchant désespérément à percer le mystère de ses désirs charnels pour les hommes. C’est dans les larmes et à travers des combats corps à corps que s’effectue l’éducation de l’adolescent. Il n’aime pas son corps grassouillet et a honte de ses comportements peu virils. Il se réfugie dans la littérature et l’art, dans l’espoir d’y trouver des réponses aux questions qu’il se pose sur la société, sur son identité sexuelle et sur la vie en général. « explique l’auteur, » UNE MÈRE SOUVERAINE Les Hamroune sont une famille algérienne, originaires de la Kabylie profonde, installés en France depuis 1945 pour le père et 1958 pour la mère. Le père était ouvrier chez Renault et la mère femme au foyer et conteuse en ses heures perdues. Le fils s’est fait connaître en 2015 en publiant son premier roman, , une biographie romancée de ses parents. Après un second roman, plus historique, intitulé (2019), l’écrivain est revenu dans son nouveau roman à l’histoire de sa famille et à son histoire personnelle. La mère y occupe une place prépondérante. « » s’ouvre sur la mère, cette femme totalement analphabète, mais régnant en souveraine sur sa vaste tribu, composée de son mari et de ses neuf enfants. « », écrit le fils, transi d’admiration. « » La double culture est le deuxième grand thème de ce roman, incarné par le narrateur, Lyazid, double de l’auteur. « » qui ne jure que par sa culture kabyle, il est paradoxalement celui qui va aller le plus loin dans l’exploration de l’altérité. L’homme aime à se proclamer « ». Il apprend par cœur les premières lignes de « », il lit la Bible et fréquente des musées pour entrer en communion avec les artistes. Le tournant de sa quête sera la visite du musée des Beaux-Arts de Rouen, où il découvre l’œuvre du Caravage, le peintre des ombres. Bouleversé par la vie et l’œuvre de ce frère d’âme en colère et en souffrance, le jeune Kabyle fait de l’art tourmenté du peintre d’il y a quatre siècles le modèle de sa propre œuvre à venir. En attendant, y trouvera-t-il la force de se libérer de la « » d’abus et de violences au quotidien à laquelle il est confronté dans le microcosme familial d’Hérouville Saint-Clair devenu sa prison ? Telle est la question sur laquelle se clôt ce beau roman de résilience et d’émotion contenue. * , par Zadig Hamroune. Éditions Emmanuelle Collas, 180 pages, 18 euros.
Romancière, poète, scénariste, librettiste, l’Italienne d’origine somalienne Ubah Cristina Ali Farah est l’une des figures montantes de la littérature postcoloniale et de la migration. Titulaire d’un doctorat sur la culture populaire somalienne, elle partage sa vie entre l’enseignement, l’écriture et des projets associatifs interculturels. Elle a trois romans à son actif dont le premier, , vient de paraître en traduction française aux éditions Zulma. « » Ainsi parle Ubah Cristina Ali Farah, romancière italienne d’origine somalienne. Née en 1973 de mère italienne et de père somalien, l’écrivaine est née à Vérone, en Italie, mais a grandi à Mogadiscio. Elle part s’installer en Europe en 1991 lorsque éclate la guerre civile, une des plus dévastatrices que l’Afrique postcoloniale a connues. À L’ORIGINE ÉTAIT LA… MER Dans l’extrait de l’interview que l’on vient d’entendre, réalisée en début d’année à l’occasion de la parution en traduction française de son premier roman , Ubah Cristina évoque non sans émotion son retour récent à Mogadiscio au terme d’une trop longue et douloureuse absence. Ses propos font écho à la préface que la romancière a écrite pour la version française de son roman. Elle y revient longuement sur les circonstances de son retour : « » La magnificence que fut Mogadiscio… Sa mer aux couleurs changeantes, le dynamisme de cette ville océane où l’écrivaine a passé son adolescence ont été, aux dires d’Ubah Cristina, à l’origine de sa venue à l’écriture. Depuis l’entrée dans l’adolescence, elle a tenu quotidiennement son journal intime. Ses premières histoires tout comme ses premiers poèmes racontant ses premiers coups de cœur datent de cette époque bénie. Or, tout cela va s’arrêter mystérieusement lorsqu’elle est obligée de quitter Mogadiscio brutalement. Plongée pendant les premières années de son exil dans une sorte d’« », elle n’écrira plus, avant de renouer plusieurs années après avec la source de sa créativité, à la faveur d’une visite chez son père somalien exilé aux Pays-Bas. « ». Le nouveau millénaire a sept ans lorsqu’elle publie , son premier roman, né d’un questionnement sur comment retrouver ses racines dans un monde où on n’a plus de repères. « raconte Ubah Cristina » UN KALÉIDOSCOPE DE VOIX Roman consacré à la diaspora somalienne, raconte l’exil, la nostalgie du pays perdu à tout jamais. « », proclame l’auteure. Son roman donne la parole à une foultitude de personnages captés dans leurs quotidiens, employés à reconstituer à travers leurs heurs et malheurs, une « » pour compenser la perte du pays réel qu’ils ont dû tous fuir dans des conditions plus ou moins dramatiques. Trois voix surnagent dans ce kaléidoscope de récits. Celles de deux femmes et une voix masculine. Elles disent chacune sa partition à la première personne, traduisant l’urgence et dévoilant leur riche intériorité, ponctuée de douleurs tues, de secrets familiaux et de silences parlants. C’est le cas notamment de Barni et de Domenica Ahado, deux cousines qui ont grandi ensemble, avant d’être séparées pendant plus de vingt ans par les intempéries politiques. Leurs retrouvailles miraculeuses à Rome, à l’occasion d’une des nombreuses tragédies qui frappent la communauté, est l’un des grands moments de l’intrigue. Elles évoquent ensemble le passé, la vie qui s’offrait à elles, sans oublier de rappeler que le temps béni de l’enfance portait aussi en elle les symptômes de la dislocation à venir, qu’elles n’avaient pas su alors déchiffrer. Le récit naît dans ces pages de l’alternance de deux voix de femmes intrépides, auxquelles s’ajoute celle de Taguerre, le mari de Domenica. À travers leurs échanges sur leurs vies brisées et leurs tentatives désespérées de reconstruire l’avenir, l’auteur fait entendre la voix de la diaspora somalienne éparpillée à travers le monde. La quête de liberté des deux femmes traduit aussi la sensibilité féministe de l’auteure. Cette sensibilité qui s’affirme dès le titre du roman. Inspiré du vocable en somali . Désignant « tante maternelle », renvoie, au-delà de la maternité biologique, à la femme somalienne en général, qui joue un rôle majeur dans la diaspora, retissant patiemment les liens entre clans, familles, individus, comme le font les héroïnes d’Ubah Cristina. En la matière, le modèle de la dernière s’appelle Nuruddin Farah, patriarche des lettres modernes somaliennes, qui a réservé dans sa fiction le beau rôle aux femmes de son pays aux prises avec le patriarcat traditionnel. L’influence de Nuruddin Farah sur les romancières somaliennes est immense, comme en témoigne au micro de RFI l’auteure de : « ». ÉLOGES UNANIMES Intense et poétique, polyphonique et original, est indéniablement une entrée en littérature prometteuse. La promesse aura été tenue, si l’on en croit les éloges unanimes qu’ont suscités en Italie les deux récents romans de l’auteure. Ils ont pour titres : (2014) et (2021). Ubah Cristina Ali Farah. Retenez ce nom. Vous en entendrez parler ! Madre piccola, par Ubah Cristina Ali Farah. Traduit de l’italien par François-Michel Durazzo. 345 pages, 22,90 euros.
est le premier roman de la Belgo-Rwandaise Dominique Celis, paru l’année dernière. Un récit épistolaire, éminemment sensible et puissant, qui remet la tragédie rwandaise sur le tapis à travers la passion charnelle de ses personnages et leur résistance contre la fatalité du passé. Elle est l’invitée de . Kigali 2018. Erika et Vincent sont deux survivants du génocide tutsi. Ils s’aiment éperdument, mais leurs amours dérivent car le duo est hanté par l’irrépressible souvenir de l’extermination des leurs. Peut-on encore aimer après un génocide ? Telle est la question qui taraude les pages de ce roman coup de poing. RFI : DOMINIQUE CELIS, HOMMES https://rfi.fr/fr/podcasts/en-sol-majeur/20221119-dominique-celis-des-survivants-aux-vivants EST VOTRE PREMIER ROMAN, UN ROMAN D’AMOUR. MAIS L’AMOUR EST-IL ENCORE POSSIBLE AU RWANDA, APRÈS LE GÉNOCIDE ? DOMINIQUE CELIS : C’est exactement la question que je me pose. Je vis au Rwanda. Je fais partie de la société, mais je suis dedans. Et il y a deux choses qui m’interpellent. D’abord, de voir comment l’histoire collective impacte l’histoire individuelle. Au Rwanda, nous vivons dans une société où au moins deux millions de personnes ont été traduites devant la justice pour avoir participé au génocide. Comme vous le savez, la majorité, à un moment, décidait d’exterminer une petite partie de la population. Dans cette majorité, tout le monde n’a pas tué bien sûr. Comment on vit ça au quotidien ? Avant d’arriver au Rwanda, je le sais intellectuellement. Je sais que je rencontrerai des assassins qui ont purgé leur peine. On rencontre des assassins en liberté parce que des rescapés n’ont pas osé les dénoncer, notamment les femmes qui ont été violées. Je sais ça, mais quand j’arrive au Rwanda, je vois ça concrètement. Je le sens dans mon corps. Je suis amenée à voir des situations qui concernent nos propres familles. Il y a donc cet aspect-là où vous ne pouvez pas échapper aux crimes quelque part. Et en plus, même si les protagonistes ne sont pas là, les paysages n’ont pas changé. Évidemment, la colline n’a pas disparu. Quand vous êtes au Rwanda, vous êtes dans ce que j’appelle la « transaction histoire collective/histoires individuelles ». Ça, c’est le premier élément. Et le deuxième élément qui m’interpelle solidement, c’est qu’il y a un discours général sur l’amour. Quand je dis général, c’est aussi bien de la part des hommes que de la part des femmes. Il y a un discours général sur l’amour qui est extrêmement amer, qui est extrêmement dur, voire violent dans le discours. Adorno demandait après la Shoah s’il était encore possible d’écrire la poésie. Moi, sur la base de ces deux éléments, je me pose la question de l’amour et donc je vais imaginer un dispositif littéraire. Le dispositif littéraire que j’imagine, c’est une histoire d’amour. Pourquoi une histoire d’amour ? Parce que c’est l’espace, sans mauvais jeu de mots, dans lequel on est le plus à nu. Et je vais créer mon couple et leur donner à chacun une identité, une expérience de vie et je vais tester ma question. Pour finir, moi, ce qui m’importait, c’était tout à fait à l’inverse de la démarche philosophique et académique. Je ne voulais pas simplement comprendre. Je voulais essayer de sentir. C’est quoi d’être un homme qui, à 10 ans, a perdu sa famille et s’engage au front ? Comment un homme qui a la trajectoire personnelle de Vincent, qui a une éducation spécifique sur la virilité, comment est-ce qu’il fait ? Comment est-ce qu’on est une femme quand on a des tantes qui ont été violées, comment est-ce que soi-même, en tant que femme, on vit sa sexualité ? C’est une question qui reste vraie aujourd’hui. C’était ça ma démarche. EST VOTRE SECOND LIVRE EN RÉALITÉ SUR LA TRAGÉDIE RWANDAISE. IL Y A EU D’ABORD . UN ESSAI ? C’est plus une réflexion citoyenne argumentée qu’un essai au sens académique strict. La question que je me posais dans ce texte, c’était à quoi renvoie l’image du rescapé d’un génocide. C’est un livre d’une centaine de pages. Alors, j’anticipe peut-être une question : qu’est-ce qui fait que je suis passée au roman ? Je n’osais pas m'attaquer au roman par manque de confiance. Manque de confiance en ma capacité à le faire et aussi parce que j’avais peur de revisiter des émotions trop difficiles. Je m’y suis mise parce que c’était plus fort que moi et j’ai traversé toutes les obscurités. POUR ÉCRIRE UNE FICTION SUR LE GÉNOCIDE, IL FALLAIT SÛREMENT ÊTRE SUR PLACE. EST-CE POUR CETTE RAISON QUE VOUS ÊTES REVENUE VIVRE AU RWANDA, DOMINIQUE CELIS ? Je vis au Rwanda depuis dix ans. Je suis née au Burundi. Ma mère est Rwandaise. Elle était réfugiée. Mon père est belge. Il se trouvait au Burundi parce qu’il était objecteur de conscience et c’est comme ça que mes deux parents se sont rencontrés. Nous avons vécu une partie de l’enfance au Rwanda et au Congo-Zaïre [actuelle RDC, NDLR]. Ensuite, nous sommes allés, ma sœur et moi, en Belgique pour nos études supérieures. J’ai fait mes études en Belgique. J’aspirais à retourner au Rwanda, mais ce n’était ni du goût de ma mère, ni de mon amoureux. Je suis revenue au Rwanda. L’appel du pays était plus fort. IL Y A BEAUCOUP DE SIMILITUDE ENTRE VOS DEUX PARCOURS, LE PARCOURS DE VOTRE PROTAGONISTE ET VOTRE PARCOURS PERSONNEL. Le personnage d’Erika, qui rentre au pays. J'ai construit ce personnage parce que je voulais montrer la différence qu’il y avait à être pris dans cette histoire de persécution depuis sa naissance et d’avoir eu un parent non-rwandais qui a grandi en partie ailleurs. Ce qui correspond en effet à ma biographie à moi. Au niveau du fond, ça ne correspond pas à mon vécu. Maintenant, dans ce qu’on peut écrire, il y a des choses qui peuvent nous échapper – à l’insu de notre plein gré, j’ai envie de dire – mais, ce n’est pas l’histoire de ma famille. Ce n’est pas mon histoire. C’est de la pure fiction. VOUS AIMEZ RAPPELER QUE VOUS N’ÊTES PAS UNE SURVIVANTE. ALORS QU’EST-CE QUI VOUS A CONDUITE À ÉCRIRE SUR LE GÉNOCIDE AU RWANDA ? Je ne suis pas une survivante. En 1994, j’étudiais en Belgique où vivaient mes deux parents, dont ma maman rwandaise. Si je peux faire une phrase un peu bizarre : depuis que je connais ma mère, nous sommes dans cette histoire. Ma mère est une réfugiée. Elle a 78 ans. Elle a encore peur de tout ça. Une peur viscérale de l’ordre de la panique. On a grandi dans cette histoire, une histoire d’exils, une histoire de violences, une histoire de deuils. Son père a été lynché devant elle. Cela ne faisait pas partie des discussions qu’on avait à table, mais justement le silence sur cette histoire nous a aussi constituées. EST UN RÉCIT ÉPISTOLAIRE DONT L’ACTION SE DÉROULE AUJOURD'HUI TRENTE ANS APRÈS LES ÉVÉNEMENTS. L’action se passe en 2018. Ce qui m’intéresse, c’est la société post-génocide parce que s’agissant de l’exécution du génocide, les historiens ont fait leur travail. Tout est là. Ce qui m’intéresse, c’est plutôt de voir comment on voit ça maintenant, comment on deale avec tout ça et c’est très compliqué. QU’EST-CE QUI A ÉTÉ COMPLIQUÉ ? Ce qui a été difficile pour moi, c’était d’écrire le vide, le silence, l’absence. Comment rendre le fait que nous vivons tous ici avec les partitions que les gens ont vécues. Pour être claire, que vous soyez bourreau ou issu de famille de bourreaux, ce n’est pas la même chose. Survivant ou issu de familles de survivants, tout le monde est habité par la dévastation. Comment écrit-on la dévastation ? Parce que la spécificité du génocide, c’est que c’est une destruction sans raison. C’est ça qui fait que la reconstruction est difficile quand quelqu’un qui a été « génocidé », a été « génocidé » pour rien, avec un raffinement dans la cruauté. Et pour moi, c’est cela qui était difficile d’écrire. Le personnage de Vincent est habité par la perte, par le vide. Le personnage d’Erika, elle, est habitée par l’absence de sa famille maternelle et c’est cette absence qui la constitue. C’était cela que j’avais du mal à écrire. C’était difficile. , par Dominique Celis. Éditions Philippe Rey. 287 pages, 20 euros.
Antoinette Tidjani Alou est née à la Jamaïque et vit au Niger depuis bientôt trois décennies. Spécialiste des littératures orales africaines, elle s'est fait connaître en publiant en 2016 un premier roman autofictionnel où elle a raconté avec gravité et dignité son combat contre la maladie qui a emporté sa fille. Roman d'apprentissage, qu’elle vient de publier aux éditions Project’îles, est son troisième ouvrage. « » C’est sur ce dialogue mère-fils que s’ouvre le nouveau roman de la Nigérienne Antoinette Tidjani Alou, déclamé par l’auteure en personne. On est ici à mi-chemin entre terre ferme et fleuve dans la tourmente, où la vie prend son essor. Cette ouverture est emblématique du récit subtil et sublime que racontent ces pages, mettant en scène le destin du personnage éponyme, ballotté par les courants de l’existence. Nous suivons Mano au fil des pages, voguant entre Niamey et Bordeaux, traversant les continents à la recherche des temps à venir, son identité tiraillée entre l’Afrique et l’Europe. Né sur le fleuve, Mano est doué de qualités exceptionnelles. Il est surdoué, mais finira par s’égarer sur les chemins de la vie. Il y a du Samba Diallo dans ce personnage, menacé par la folie et la désintégration. Saura-t-il se ressaisir ? « » est un roman d’apprentissage par excellence. Moderniste par sa sensibilité, son auteure est proche de Toni Morrison par sa manière poétique et elliptique de raconter la maturation de ses personnages, évoluant dans un univers postcolonial et résolument multiculturel. Spécialiste de littérature orale africaine, son auteure est originaire de la Jamaïque. Après des études supérieures en France, notamment une thèse sur le théâtre de Claudel, elle s’est installée au Niger, où elle vit depuis bientôt 30 ans et où elle enseigne la littérature française et comparée à l’université Abdou-Moumouni de Niamey. LE REGGAE ET LA BIBLE Antoinette Tidjani-Alou aime raconter que son goût pour l’écriture, elle le doit à son enfance en Jamaïque, où influencée par le reggae et la Bible, elle a écrit des poèmes depuis sa plus petite enfance. « », confie-t-elle. Pour sa part, lancée dans la carrière universitaire, la professeure Alou s’est longtemps contentée d’être chercheuse assidue et bonne épouse, avant de ressentir de nouveau le besoin de se tourner vers l’écriture lorsqu’elle a été frappée par une tragédie familiale : « se souvient-elle » Ce tombeau littéraire a pour titre , roman paru en 2016, qui a fait connaître Antoinette Tidjani Alou. C’est un livre poignant où l’auteur raconte avec gravité et dignité le combat acharné qu’elle a mené contre la maladie, qui a finalement emporté sa fille. Émotion et deuil. Le corpus littéraire de la romancière compte aussi un recueil de nouvelles en anglais Stories, paru en 2017. Ces nouvelles témoignent d’une narration originale, doublée d’une grande empathie de l’auteur pour ses personnages puisés dans les perdants et les exclus de la fête de la vie. Lyrisme, imagination et une certaine acuité sentimentale sont les marques de fabrique de la fiction d’Antoinette Tidjani Alou. Son nouveau roman ne déroge pas à la règle. Dès les premières phrases, le lecteur est happé dans un vortex de questionnements sur l’identité et la fragilité qui caractérisent la quête inassouvie du personnage éponyme du roman. Le drame de Mano est sans doute d’être l’homme de tous les bords, tiraillé à tout jamais entre l’ici et l’ailleurs. * , par Antoinette Tidjani Alou. Editions Project’îles, 360 pages, 17 euros.